Gouvernance produit : les orientations de l’EIOPA

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EIOPA, Preparatory Guidelines on product oversight and governance (POG), 6 avril 2016, BoS – 16 – 071 : commentaire du Professeur Pierre-Grégoire Marly, Banque et Droit n° 167, mai-juin 2016, p. 76.

 

EXTRAIT

 

« Parmi ses dispositions les plus remarquables, la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (DDA ou IDD) consacre un article à « la surveillance et la gouvernance du produit » (Product Oversight and Governance ou POG)[1]. L’expression est pour le moins énigmatique, qui accole le concept de gouvernance à des produits plutôt qu’à des entreprises. En outre, elle illustre cette tendance de la nouvelle directive à traiter l’assurance comme un produit plutôt que comme un service.

Est-ce à dire que dans l’esprit communautaire, la souscription d’un contrat d’assurance confine à l’acquisition d’un « bien assurantiel » ? Si une telle « réification » n’est sans doute qu’apparente, elle s’évince en revanche d’une « midifisation » bien réelle de l’assurance dont les règles de distribution s’inspirent apertement de celles régissant les produits financiers[2]. Cette inspiration saillit indiscutablement des exigences propres au commerce des « produits d’investissement fondés sur l’assurance » (PIA ou IBIP’s) qui rassemblent les contrats d’assurance « comportant une durée de vie ou une valeur de rachat qui est totalement ou partiellement exposée, de manière directe ou indirecte, aux fluctuations de marché »[3]. De fait, à défaut d’unité conceptuelle, les PIA présentent avec les autres produits d’investissement une convergence fonctionnelle justifiant que des dispositions analogues leur soient applicables, à l’exemple du formalisme informatif que leur prescrit le règlement européen PRIIP’s[4]. La « mifidisation » s’aperçoit également dans le droit commun de la distribution d’assurances, où certaines dispositions inspirées de la réforme MIF s’appliquent indifféremment aux assurances-vie et aux assurances non-vie. Il en est précisément ainsi des règles introduites par la DDA en matière de gouvernance du produit.

En vertu de celles-ci, pour chaque nouveau contrat ou toute modification significative d’un contrat existant, son concepteur (organisme ou intermédiaire d’assurance) devra suivre un processus de validation définissant le « marché cible », évaluant les risques propres à ce marché et déterminant une stratégie de distribution idoine. Ces informations, périodiquement revues, seront mises à la disposition des distributeurs qui devront se pourvoir de moyens appropriés pour comprendre les caractéristiques et le marché cible du produit concerné.

La DDA prévoit que ce dispositif doit être complété par des actes délégués que la Commission européenne adoptera sur proposition de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP ou EIOPA)[5]. L’ensemble ainsi formé pourra ensuite être précisé par les orientations émanant de cette même autorité et destinées aux régulateurs nationaux qui, suivant la procédure dite de comply or explain, déclareront s’y conformer ou non[6]. Chronologiquement, ces orientations sont donc censées succéder aux actes délégués dont elles ont pour objet de favoriser l’application uniforme au sein de l’Espace européen.

A rebours, l’EIOPA vient pourtant d’en publier une version « préliminaire » qu’elle réexaminera une fois les actes délégués pris par la Commission. Elle motive cette singulière chronologie par la nécessité, d’une part, d’instaurer un dialogue précoce entre les superviseurs locaux et les professionnels assujettis au futur dispositif, d’autre part, de contribuer à l’œuvre transversale des autorités européennes de surveillance. » (…)

 

[1] Dir. 2016/97/UE, art. 25. Pour une présentation générale de la directive : P.-G. Marly, « Distribution des contrats d’assurance : le nouveau paradigme européen », JCP E, 2016, à paraître. Adde. P.-G. Marly, « La distribution des produits d’investissement fondés sur l’assurance », RTDF n° 4, 2015, p. 74.

[2] Dir. 2016/97/UE, cons. 10. L’expression « midifidisation » provient de l’acronyme « mifid » qui désigne la Directive concernant les marchés d’instruments financiers (Markets in Financial Instruments Directive). La Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 en constitue la version modifiée (dite « Mifid 2 »).

[3] Dir. 2016/97/UE, art. 2, §1 (17).

[4] Règl. UE n° 1286/2014 du 26 novembre 2014, JOUE 9/12/2014, L 352/16. Cf. P.-G. Marly, « La transversalité en acte : le règlement PRIIPs du 26 novembre 2014 », RTDF, 4/2014, p. 63 ; G. Parléani, « Le règlement « PRIPs » (sic) 1286/2014 du 26 novembre 2014, ou le formalisme au secours des investisseurs et du marché », RGDA 1er mai 2015 n° 5, P. 231 ; M. Stork, « Le règlement UE du 26 novembre 2014 sur les documents d’information clés relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance », RTD com. 2015, p. 823.

[5] Dir. 2016/97/UE, art. 25 (2). Cf. TFUE, art. 290 ; Règl. UE n° 1094/2010, art. 10.

[6] Règl. UE n° 1094/2010, art. 9 (2) et16.