L’assureur, le courtier et le prêteur : responsabilités autour d’une assurance vie liée à une crédit in fine

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Note sous Cass. com., 13 avril 2010, n° 08-21334, Bull. Joly Bourse, Juillet-Août 2010, p. 336


RESUME

 » Il y a deux ans, la Cour de cassation révélait au passif des promoteurs de titres financiers une obligation de cohérence en matière publicitaire assise sur le droit commun des contrats[1]. L’arrêt rapporté transpose cette obligation aux professionnels de l’assurance vie, ce qui aurait bien valu les honneurs d’une publication au Bulletin.

En l’espèce, deux époux avaient chacun souscrit, par le truchement d’un courtier, une assurance vie en unités de compte à l’effet de se constituer un complément de retraite. Au cours du contrat, ils firent de nouveaux versements financés par un prêt in fine accordé pour une durée de huit ans.

Constatant la dépréciation des supports de leurs contrats d’assurance, les deux preneurs assignèrent ensemble l’assureur, le courtier et le prêteur pour manquement à leurs obligations de conseil, de mise en garde et d’information. Déboutés en appel, ils introduisirent un pourvoi duquel deux moyens retiendront spécialement notre attention.

Les demandeurs reprochaient notamment aux juges du fond d’avoir écarté la responsabilité de l’assureur et du courtier pour défaut d’information et de conseil, sans avoir vérifié si la publicité des contrats d’assurances litigieux mentionnait les risques y afférents. La Chambre commerciale censure l’arrêt entrepris, les magistrats n’ayant pas recherché si ladite publicité « était cohérente avec l’investissement proposé et mentionnait les caractéristiques les moins favorables et les risques inhérents aux options qui pouvaient être le corollaire des avantages annoncés ».

Cette solution n’est pas étrangère aux récentes évolutions législatives qui tendent renforcer la qualité des documents promotionnels en matière d’assurance vie. D’une part, l’article L. 132-27 du code des assurances impose que ces documents soient identifiés comme tels et présentent un contenu « clair, exact et non trompeur »[3]. D’autre part, l’article L. 132-28 du même code prévoit que la convention de distribution conclue entre un assureur et son intermédiaire doit stipuler les conditions dans lesquelles le second soumet au premier, pour vérification, les documents publicitaires qu’il entend diffuser[5]. Enfin, l’article L. 612-47 du code monétaire et financier engage la nouvelle ACP et l’AMF, dans le cadre de leur pôle commun, à coordonner leur surveillance des campagnes publicitaires menées dans les secteurs dont elles ont la charge[6].

Au fond, cette évolution est née d’un paradoxe : plus la documentation précontractuelle se densifie à dessein de protéger le consentement du preneur d’assurance, moins celui-ci la consulte en prélude de sa souscription. Fréquemment, la publicité est alors le seul support informatif à partir duquel le souscripteur contracte son assurance vie.  D’où la volonté des pouvoirs publics, relayés par le juge, d’imposer une certaine objectivité aux documents promotionnels, fût-ce au détriment de leur rôle attractif.

Cette objectivité implique désormais la cohérence de la publicité avec les caractéristiques du produit qu’elle vante, c’est-à-dire l’absence de contradiction entre la promotion et l’information qui lui succède. Concrètement, il s’agit d’empêcher qu’après avoir promis par voie publicitaire une certaine performance, le professionnel ne se retranche derrière la notice d’information si cette performance n’est pas atteinte.

Telle que décrite dans l’arrêt commenté, la cohérence requise dépasse cependant la seule conformité du message publicitaire à la réalité de son objet, et suppose une mise en garde à l’intention du consommateur. Plus précisément, le promoteur doit avertir des risques et inconvénients qui sont le corollaire des avantages mis en exergue. Ainsi, la publicité d’une assurance vie en unités de compte qui, se fondant sur les performances passées, évoquerait la possibilité d’un important rendement, devrait également énoncer la possibilité inverse. C’est dire que cette mise en garde recoupe celle que doit impérativement mentionner la notice d’information relative à cette variété de contrat [7].« 



[1] Cass. com., 24 juin 2008, n° 06-21798 : Bull. Joly Bourse 2008, p. 398, §51, note H. Guyader ; JCP G 2008, act. 486, obs. M. Roussille ; RDBF 2008, étude 17 par H. Causse ; RDBF 2008, étude 27 par N. Mathey ; D 2008, p. 2967, note D. Houtcieff. Précisons que les faits jugés n’étaient pas soumis à l’article L. 533-12 I du code monétaire et financier tel que modifié par l’ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007, ni aux articles 314-10 et suivant du Règlement général de l’AMF concernant la qualité des documents commerciaux.

[2] Ordonnance n° 2009-106 du 30 janvier 2009 portant sur la commercialisation des produits d’assurance sur la vie et sur des opérations de prévoyance collective et d’assurance, JORF n°0026 du 31 janvier 2009 page 1838.

[3] Comp. C. Mon. et Fin.., art. L. 533-12 I. Adde. Rglmt Gén. AMF, art. 314-10 et suiv., spéc. art. 314-11.

[4] Ordonnance n° 2008-1271 du 5 décembre 2008 relative à la mise en place de codes de conduite et de conventions régissant les rapports entre les producteurs et les distributeurs, en matière de commercialisation d’instruments financiers, de produits d’épargne et d’assurance sur la vie, JO du 6 décembre 2008, p. 18612. Voir commentaire de S. Gossou, Banque et Droit 2009, n°122, p. 60. Egalement : Décret n° 2010-40 du 11 janvier 2010 relatif aux conventions entre producteurs et distributeurs en matière de commercialisation d’instruments financiers et de produits d’assurance sur la vie, JORF n°0010 du 13 janvier 2010 page 674. Voir notre commentaire, Banque et Droit 2010, n°129, p. 38.


[5] C. Ass., art. L. 132-28. Suivant l’article R. 132-5-2  du code des assurances, l’établissement d’une convention de distribution n’est pas exigé lorsque l’intermédiaire n’a recours qu’aux documents publicitaires mis à sa disposition par l’entreprise d’assurance et que celle-ci s’est engagée par écrit à lui transmettre les informations sur les contrats afférents.

[6] Voir également les articles 15 et 16 de la convention du 30 avril 2010 signée entre les deux autorités. Sur cette convention : P-G. Marly, Banque & Droit 2010, n° 131, p. 59.

[7] C. Ass., art. A. 132-5. La documentation précontractuelle doit impérativement mentionner que la valeur des unités de compte est sujette à fluctuations que supporte le preneur. Aussi, la Cour de cassation a pu décider que cette mise en garde était suffisante : Cass. com., 2 mars 2010, n° 09-12175.

Par Pierre-Grégoire Marly