Gestion d’un fonds collectif de retraite et opération d’assurance : CJUE, aff. C-235/19, United Biscuits

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La gestion d’un fonds collectif de retraite est-elle une opération d’assurance au sens de la 6ème directive TVA ?
Réponse de la CJUE dans l’affaire United Biscuits (C-235/19), et mon commentaire, reproduit ici in extenso, à la RTDF 2021/1.
L’occasion de revenir notamment sur cette activité singulière, et non moins sujette à agrément, que constitue la gestion de fonds collectifs dans le cadre des régimes à « prestations définies ».

Opération d’assurance et gestion d’un fonds collectif de retraite

Parmi les prestations de services exonérées de TVA par les États membres, l’article 135, §1, a) de la directive 2006/112/CE vise notamment les « opérations d’assurance » qui, selon la CJUE, sont caractérisées dès l’instant où un prestataire se charge, moyennant le paiement préalable d’une prime, de procurer la prestation convenue en cas de réalisation du risque couvert[1].

La gestion de placements pour le compte d’un fonds collectif de retraite entre-t-elle dans le champ d’application de cette disposition ?

Saisie de cette question préjudicielle, la CJUE répond par la négative : l’article 135, §1, a), de la directive 2006/112/CE doit être interprété en ce sens que des services de gestion de placements fournis au titre d’un régime professionnel de retraite, à l’exclusion de toute indemnisation de risque, ne peuvent être qualifiés d’« opérations d’assurance », au sens de cette disposition et, partant, sont assujettis à la TVA[2]. En s’appuyant sur les directives du secteur assurantiel, la Cour rappelle que, selon l’article 1er de la première directive 79/267/CEE[3], les « activités » d’assurance vie comprennent des « assurances » proprement dites et d’autres « opérations », parmi lesquelles « les opérations de gestion de fonds collectifs de retraite »[4].

Précisions que ces opérations ressortissent aux assurances de passifs sociaux qui permettent à une entreprise d’externaliser les engagements qu’elle a consentis à son personnel dans le cadre d’un régime de protection sociale complémentaire. Ces engagements, pris sur la base d’un accord collectif, d’un référendum ou d’une décision unilatérale, ont pour objet le versement de prestations en matière de retraite, d’indemnités de fin de carrière et/ou de primes pour médailles du travail.

Or, à l’effet de garantir ces prestations, l’entreprise à la faculté de souscrire un contrat d’assurance par lequel elle confie à l’assureur le soin de (i) gérer les provisions constituées par les cotisations qu’elle verse et (ii) les employer au fil de l’eau lors de la réalisation du risque couvert (i.e. lorsque le seuil d’ancienneté est atteint ou lors de la cessation d’activité professionnelle). Partant, l’étendue des obligations de l’employeur et de l’assureur dépend du régime de protection sociale complémentaire mis en place. Ainsi, dans les régimes à « prestations définies », l’employeur s’engage sur le niveau des prestations que les cotisations collectées par l’assureur devront permettre d’atteindre. Les salariés ne sont alors titulaires que de droits virtuels sur ces prestations dont le versement est subordonné à la poursuite/l’achèvement de leur carrière dans l’entreprise cotisante. Ces pourquoi, ces droits ne sont pas immédiatement individualisés mais indifférenciés au sein d’un fonds collectif jusqu’à leur liquidation.

Pour la gestion de ce fonds collectif, l’assureur peut alors s’engager en lieu et place de l’employeur sur le montant des prestations promises aux salariés ou, plus modestement, limiter son engagement au montant des cotisations qui alimentent le fonds collectif. Dans ce dernier cas, l’employeur ne transfère donc pas à l’assureur le risque inhérent à ses passifs sociaux mais lui confie uniquement la gestion des actifs correspondants. Le rôle de l’assureur est donc cantonné à la gestion des fonds apportés par l’employeur et à leur restitution au fil de l’eau afin de permettre à l’employeur d’exécuter ses engagements dont la naissance est subordonnée à la liquidation des droits du personnel selon les conditions requises (i.e. retraite, ancienneté, cessation d’activité).

Ainsi, même si elles leurs sont « proches », voire « étroitement liées », les « opérations de gestion » ne sont donc pas des « assurances » stricto sensu, fussent-elles aujourd’hui répertoriées dans une annexe intitulée « Classification par branche d’assurance vie »[5]. De fait, cette classification recense les activités pour lesquelles un assureur doit être agréé et dont le périmètre dépasse celui des seules opérations d’assurance[6].

Au fond, la décision de la CJUE est doublement justifiée : sous l’angle fiscal, les exonérations de TVA sont d’interprétation stricte et, celle des opérations d’assurance, justifiée par la difficulté de déterminer l’assiette de cette taxe pour les primes liées à la couverture du risque ; sous l’angle juridique, est certainement étrangère à l’assurance l’opération consistant à gérer un fonds collectif pour le compte d’autrui sans couvrir un risque viager ou financier.

 

[1] Jurisp. constante depuis CJCE, 25 févr. 1999, Card Protection Plan Ltd (CPP), aff. C-349/96 (point 17). En dernier lieu :  CJUE, 17 mars 2016, Aspiro, aff.C-40/15, point 22.

[2] CJUE, 8 oct. 2020, aff. C-235/19, United Biscuits.

[3] Auj. Dir. 2009/138/CE, art. 2, §3.

[4] Comp. C. Ass., art. R.321-1, br. 25.

[5] Dir. 2009/138/CE, annexe 2. Comp. C. Ass., art. R. 321-1, al.1.

[6] Cf. P.-G. Marly, Jcl. Resp. Civ. et Ass., Fasc. 504-60, 2020, n°12 et 78 et s.

Par Pierre-Grégoire Marly