Un an après la transposition de la DDA : quelques questions rémanentes

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Article rédigé par le Professeur Pierre-Grégoire Marly et publié à la RTDF 2019/3 – Chron. « Finance et assurance »

Le 1er octobre 2018 entrait en vigueur l’ordonnance[1] transposant dans notre droit la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (DDA)[2].

Si le nouveau dispositif engendre de nombreuses interrogations sur sa mise en œuvre, subsistent également des questions récurrentes que le législateur français a soigneusement éludées lors de la transposition.

Regrettable à certains égards, cette inertie est peut-être préférable à d’autres, comme le révèlent les propos qui suivent.

Associations souscriptrices, courtiers grossistes, sous-courtiers, mandataires d’assurance

Les associations souscriptrices d’assurances de groupe sont-elles des intermédiaires d’assurance ? La question n’a pas manqué d’être posée dès 2005 lorsque fut transposée la directive 2002/92/CE sur l’intermédiation en assurance (DIA). Certes, ces associations ne recueillent pas les adhésions aux contrats qu’elles souscrivent, cette tâche incombant généralement aux agents de l’assureur. Pour autant, avec le développement d’internet, elles remplissent parfois un office commercial qui outrepasse la simple indication d’assurance[3] et leur procure en contrepartie un avantage économique, parfois même sous la forme d’une rétribution convenue avec l’assureur[4].

Aussi, de même que la nouvelle réglementation précise les conditions dans lesquelles les comparateurs d’assurance sont désormais réputés pratiquer une activité de distribution[5], les associations souscriptrices auraient pu bénéficier de précisions analogues, voire d’une catégorie spécifique d’exercice le cas échéant. De fait, les actuelles catégories d’intermédiaires, héritées de 2005, contraignent ces associations à la qualité de mandataire d’assurance, pourtant peu compatible avec leur indépendance présumée.

Fallait-il également créer une catégorie particulière des courtiers grossistes dont le positionnement demeure pour le moins ambigu[6] ? Implicitement, la réforme a tenu compte de leur singularité en introduisant, parmi les actes de distribution, les travaux « d’animation » ou « d’organisation » d’un réseau[7]. N’était-ce cependant pas l’occasion d’aller plus avant en précisant leur rôle dans l’élaboration des produits ainsi que leurs rapports avec les courtiers directs ?

Certes, la CSCA (devenue Planète CSCA) a bien élaboré en 2009 un code de conduite régissant ces rapports dans l’exécution des obligations d’information et de conseil. Du reste, la Cour de cassation fit échos à ce code en dispensant le courtier grossiste des obligations précitées[8]. Dans ces circonstances, qu’apporterait une intervention législative ? Elle pourrait, à tout le moins, stabiliser la jurisprudence susmentionnée et, plus largement, adapter certaines dispositions légales à la dualité courtier grossistes/courtiers directs.

Au-delà de cette dualité, le législateur aurait pu clarifier la possibilité pour un courtier de distribuer des contrats par l’entremise d’un autre courtier. De fait, il est parfois soutenu qu’en introduisant la catégorie des mandataires d’intermédiaire d’assurance (MIA), les pouvoirs publics entendirent cantonner à cette catégorie tout intermédiaire travaillant au service d’un autre, étant précisé qu’un MIA ne peut à son tour mandater un autre MIA[9]. Ce faisant, ils auraient délibérément restreint à deux maillons la chaine de distribution pouvant lier l’assureur au client final.

Si elle évite une dilution de la relation client, cette restriction doit-elle uniquement être cantonnée aux mandataires dont la succession rendrait concrètement difficile l’identification des obligations et des responsabilités de chacun ? Au contraire, faut-il l’étendre au sous-courtage, sans quoi d’interminables chaines d’intermédiaires pourraient se nouer ? À moins que la maitrise de ces chaines, quelle qu’en soit la dimension, incombe à l’assureur, notamment au titre de la gouvernance des produits…

La transposition de la DDA était également l’occasion d’affiner le sort des mandataires d’assurance qui, en 2008, virent leur périmètre d’activité singulièrement limité[10] ; une limitation officieusement motivée par la crainte que cette catégorie d’intermédiaires n’assèche celle des agents généraux. Au vrai, elle eut surtout pour effet de contraindre des distributeurs non-vie à s’accommoder du statut de courtier pour pouvoir être délégués à la gestion des contrats et des sinistres. Certes, sous la pression des agents maritimes, plusieurs dérogations à cette restriction furent introduites en lien avec certaines catégories d’assurance[11]. Au-delà, le temps n’est-il pas venu de la supprimer purement et simplement ?

L’attractivité de la catégorie des mandataires d’assurance serait également renforcée si l’on tordait le coup au postulat suivant lequel ces intermédiaires ne peuvent être propriétaires de la clientèle qu’ils développent. Ouverte en 2006 aux personnes morales, cette catégorie devait notamment accueillir les acteurs de la bancassurance ou de la grande distribution pour lesquels ni la qualité de courtier, ni celle d’agent n’était adaptée. Or, dès l’instant où ces acteurs tiennent de leur principale activité la clientèle qui alimente par ailleurs leur fonction de mandataire, rien ne justifie qu’ils en soient expropriés au profit de leur mandant[12].

S’il n’y a pas lieu d’échafauder une réglementation propre aux mandataires d’assurance que l’absence de statut distingue précisément des agents généraux, il peut toutefois être envisagé de leur garantir certains droits, notamment dans la perspective d’une révocation de leur mandat.

Information sur le produit, recommandation personnalisée, gestion conseillée

Avec la transposition de la DDA, les informations dont est redevable le distributeur d’assurances se sont un peu plus alourdies.

En ce sens, l’article L. 112-2 du code des assurances prescrit désormais en assurance non-vie la remise précontractuelle d’un « document d’information normalisé sur le produit d’assurance » (DIPA ou IPID). Rappelons que ce nouveau document standardisé doit synthétiquement décrire les caractéristiques du contrat proposé afin d’en favoriser la comparabilité et l’intelligibilité par l’éventuel souscripteur. À cette fin, il doit comporter neuf rubriques recensées par décret[13] et déclinées par un règlement européen d’exécution qui en précise la forme et le contenu[14].

Si le législateur français était tenu d’introduire ce nouveau document informatif, que n’a-t-il saisi l’occasion de supprimer en conséquence la fiche d’information sur les garanties et les prix dont l’article L. 112-2 requiert également la fourniture ? Quel office peut bien remplir cette fiche que le DIPA ne remplirait pas ? La documentation précontractuelle est suffisamment dense pour que des doublons ne viennent pas l’obscurcir un peu plus. Sans compter qu’à défaut d’être qualifiés de contrats « sur mesure », le DIPA pourrait bien être exigé dans les assurances collectives à adhésion obligatoire, là où le consentement des adhérents n’est précisément pas requis.

Quant aux distributeurs d’assurances vie rachetables, la réforme leur impartit de fournir de nombreuses informations ex ante et ex post, en particulier « sur les contrats et les stratégies d’investissement proposées comportant des orientations et des mises en garde appropriées sur les risques inhérents à ces contrats ou à certaines stratégies d’investissement proposées », ainsi que « sur tous les coûts et frais liés qui doivent être communiquées, y compris les coûts de distribution supplémentaires éventuels qui ne sont pas déjà inclus dans les coûts et frais précisés dans les documents d’informations clés »[15]. Étant donné que la plupart de ces informations recoupe celles exigées par le livre 1er du code des assurances[16], faut-il les rassembler toutes au sein d’un même document ? Dans l’affirmative, qui de l’assureur ou de l’intermédiaire doit alors les produire ? La coordination entre les dispositions considérées a sans doute été négligée lors de la transposition du texte européen.

Concernant enfin le conseil, nous ne reviendrons pas sur la manière approximative, voire contradictoire, dont la DDA fut transcrite dans notre droit, où s’entremêlent désormais un conseil qui n’en est pas un et un conseil qui ne dit pas son nom[17]. Quoi qu’il en soit, qu’il soit obligatoire ou facultatif, ce conseil n’est légalement évoqué qu’au stade précontractuel[18]. Faut-il en déduire que le distributeur qui conseille le choix d’unités de compte uniquement en cours de contrat ne fournit pas un service de recommandation personnalisée et, partant, échappe notamment à l’article 9 du Règlement délégué 2017/2359 ? Un tel conseil serait-il innommé ou relèverait-il alors des services d’investis­sement ? Cette interrogation n’est pas sans rappeler celle que soulève le mandat d’arbitrage dont la réglementation se fait toujours attendre…



[1] –   Ord. n° 2018-361 du 16 mai 2018 relative à la distribution d’assurances : cf. P.-G. Marly, « De l’intermédiation à la distribution d’assurances : le nouveau livre V du code des assurances », JCP E 2018, étude n° 1550, p. 24 ; D. Langé, « Le nouveau droit de la distribution d’assurances », RGDA oct. 2018, n° 115z6, p. 6. Adde. D. n° 2018-431 du 1er juin 2018 relatif à la distribution d’assurances ; Arrêté du 29 juin 2018 portant modification de l’arrêté du 9 juin 2016 relatif au registre unique prévu à l’article L. 512-1 du code des assurances et à l’article L. 546-1 du code monétaire et financier.

[2] –   Dir. (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances : cf. P.-G. Marly, « Distribution des contrats d’assurance : le nouveau paradigme européen », JCP E 2016, étude n° 1389, p. 41.

[3] –   Pour rappel, la simple indication d’assurance, qui se borne à mettre en relation un assuré et un professionnel de l’assurance, échappe à la qualification d’acte de distribution (C. ass., art. R. 511-3, III).

[4] –   Rappelons qu’est qualifiée d’intermédiaire d’assurance toute personne, en dehors d’un assureur, qui exerce une activité de distribution contre une rémunération ici définie largement comme « toute commission, tout honoraire, tout autre type de paiement ou tout avantage de toute nature, économique ou autre, proposé ou offert en lien avec des activités de distribution d’assurances » (C. ass., art. R. 511-3, I. Comp. Dir. (UE) 2016/97, art. 2, §1 (9).

[5] –   C. ass., art. L. 511-1 I, al. 2.

[6] –   L. Daugeron, « Statut du courtier grossiste : l’ambiguïté perdure », LTA, 12 sept. 2017, n° 227 ; L. Lefebvre et E. Le Guilcher : « L’ambigu statut des courtiers grossistes », Lamy assurances actualités, oct. 2012, n° 198.

[7] –   C. ass., art. R. 511-1, al. 2.

[8] –   Civ. 2, 23 mars 2017, n° 16-15090, Bull. à venir.

[9] –   C. ass., art. R. 511-2.

[10] – Après l’énumération les différentes catégories d’intermédiaires, l’article R. 511-2 du Code des assurances énonce que l’activité des mandataires d’assurance est limitée « à la présentation, la proposition ou l’aide à la conclusion d’une opération d’assurance au sens de l’article R. 511-1, et éventuellement à l’encaissement matériel des primes ou cotisations, et, en outre, en ce qui concerne l’assurance sur la vie et la capitalisation, à la remise matérielle des sommes dues aux assurés ou bénéficiaires ».

[11] – Selon l’article R. 511-2 précité, ces dérogations concernent les personnes exerçant « des mandats en matière d’assurance dans les branches 4, 5, 6, 7, 11 et 12 mentionnées à l’article R. 321-1 du présent code, ainsi que dans la branche 10 du même article pour ce qui est de la responsabilité du transporteur, à l’exclusion de toutes les autres branches ».

[12] – En ce sens : Cass. civ. 1, 2 oct. 2013, n° 12-22.846. Après avoir rappelé que la qualité de mandataire « ne confère aucun droit propre sur la clientèle prospectée », la Cour de cassation précise toutefois que la situation est différente si le mandataire a « personnellement acquis, créé ou développé une clientèle ».

[13] – C. assur., art. L. 112-2, art. R. 112-6.

[14] – Commission européenne, Règlement d’exécution (UE) n° 2017/1469, 11 août 2017.

[15] – C. assur., art. L. 522-3.

[16] – Not. C. assur., art. L. 132-5-2 (information précontractuelle) et L. 132-22 (information annuelle)

[17] – Cf. nos obs. in Banque & Droit n° 180, Juill.-août 2018, p. 53.

[18] – C. assur., art. L. 521-4 et L. 522-5.

 

Par Pierre-Grégoire Marly