La distribution des produits d’investissement fondés sur l’assurance

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Article rédigé par le Professeur Pierre-Grégoire Marly et publié à la Revue trimestrielle de droit financier (RTDF) n° 4, 2015, p. 74.

 

La notion de « produits d’investissement fondés sur l’assurance » (insurance-based investment products ou IBIPs) a été introduite par le Règlement européen PRIIPs du 26 novembre 2014[1]. Elle désigne les contrats d’assurance « comportant une durée de vie ou une valeur de rachat qui est totalement ou partiellement exposée, de manière directe ou indirecte, aux fluctuations de marché ». Sous quelques réserves[2], cette notion embrasse donc la plupart des contrats d’assurance-vie, qu’ils soient libellés en unités monétaires ou en unités de compte. A défaut d’identité conceptuelle, ces contrats présentent avec les « produits d’investissement de détail packagés » (packaged retail investment products ou PRIPs) une convergence fonctionnelle justifiant que le règlement précité leur applique les mêmes exigences relatives au « document d’informations clés » (DIC ou KID)[3]. A l’origine, ce règlement devait également prescrire des normes de commercialisation communes aux IBIPs et aux PRIPs. A rebours, il fut finalement décidé de décliner ces normes séparément dans les deux directives sectorielles concernant, d’une part, les marchés d’instruments financiers (MIF ou Mifid) et, d’autre part, l’intermédiation en assurance (DIA ou IMD).

Tandis que la première a fait l’objet d’une refonte par la Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 (Mifid 2), la seconde sera prochainement abrogée et remplacée par la Directive sur la distribution de l’assurance (DDA ou IDD). De fait, à la suite d’un accord du trilogue, le Parlement européen en a récemment adopté le texte qui devrait être publié début 2016 et dont l’entrée en vigueur ouvrira un délai biennal de transposition par chaque Etat membre[4].

Initialement baptisée « DIA 2 », la DDA se signale d’emblée par l’étendue de son domaine ratione personae qui embrasse tant les intermédiaires que les organismes d’assurance commercialisant directement leurs produits ou ceux d’autres compagnies. En ce sens, la distribution ne se réduit donc plus à l’intermédiation, d’où l’intitulé finalement retenu pour désigner la nouvelle directive. Sous certaines conditions, celle-ci s’appliquera également aux comparateurs d’assurances qui ont proliféré sur Internet[5], ainsi qu’aux distributeurs à titre accessoire qui pourront toutefois s’y soustraire en satisfaisant divers critères[6].

En toute occurrence, les distributeurs de produits d’investissement assurantiels seront soumis aux règles communes à toutes les variétés d’assurances auxquelles s’ajouteront des dispositions propres à cette catégorie de contrats. De ce corpus normatif saillissent trois thèmes majeurs qui illustrent parfaitement la « mifidisation » de l’assurance vie : la lutte contre les conflits d’intérêts (1.), la gouvernance et la surveillance des produits (2.) et la fourniture de conseils (3.).

 

 

  1. Les conflits d’intérêts

Dès 2010, le régulateur européen des assurances (i.e. le CEIOPS auquel succède l’EIOPA) dénonçait les carences de la Directive 2002/92/CE (DIA ou IMD) dans la lutte contre les conflits d’intérêts pouvant entacher la relation entre l’intermédiaire et son client[7]. D’une part, il déplorait la disparité des droits nationaux en matière de transparence des rémunérations, la directive précitée ne comportant aucune disposition à cet égard[8]. D’autre part, il pointait du doigt l’ambiguïté des rapports entre producteurs et distributeurs, comme le fait qu’un courtier, commerçant réputé indépendant, puisse représenter tout à la fois le souscripteur et l’assureur[9]. Certes, la DIA impose à l’intermédiaire d’informer le futur preneur sur les liens capitalistiques et contractuels qu’il entretient avec les assureurs dont il distribue les produits[10]. Au jugé, ce dispositif est toutefois insuffisant, d’où son amélioration par la future DDA.

Tout d’abord, la nouvelle directive inscrit au passif des distributeurs une obligation générale d’agir en permanence « de manière honnête, impartiale et professionnelle, et ce au mieux des intérêts de leurs clients ». Il en découle notamment qu’ils ne pourront être rémunérés ou rémunérer leur personnel d’une manière qui heurterait cette exigence. A cela s’ajoute une obligation de transparence : pour chaque contrat, l’intermédiaire d’assurance sera tenu d’indiquer la nature de sa rémunération ainsi que le mandat qui lui est éventuellement confié, tandis que l’organisme d’assurance devra mentionner le mode de rétribution de son personnel (notamment les rémunérations variables et assises sur des critères quantitatifs).

Pour la distribution d’IBIPs, ces dispositions s’augmenteront de règles directement inspirées de Mifid 2, à l’exception notable de l’interdiction des inducements au profit des conseillers indépendants[11].

Tout d’abord, les distributeurs devront se doter d’un dispositif organisationnel et administratif destiné à prévenir les conflits d’intérêts. Si ces mesures se révélaient insuffisantes pour éluder un conflit identifié, le client concerné devra en être averti avant la conclusion du contrat. Signalons que la Commission européenne devrait prochainement préciser ce dispositif dans le cadre d’actes délégués pour l’élaboration desquels l’EIOPA a d’ores et déjà rendu un avis technique[12]. Ensuite, le distributeur devra révéler au potentiel investisseur, « en temps utile » avant toute souscription, des informations sur les coûts et frais liés au produit proposé, en ce compris le coût du conseil éventuellement prodigué et tout paiement effectué par des tiers (inducements). A cet égard, les inducements seront présumés non conflictuels sous la double condition que le paiement ou l’avantage considéré n’ait pas d’effet négatif sur la qualité du service fourni et ne nuisent pas à l’obligation générale du distributeur d’agir loyalement dans l’intérêt de son client. L’appréciation de ces critères fera, là encore, l’objet d’actes délégués qui prendront en considération la nature des services et des produits proposés.

 

  1. La gouvernance produit

Parmi les règles de bonne conduite qu’il introduit, la DDA prévoit des dispositions relatives à « la surveillance et la gouvernance du produit » (Product oversight and governance ou POG). L’assurance est ainsi traitée comme un produit que l’on « fabrique » et que l’on « vend », bien plus que comme un contrat que l’on négocie et que l’on conclut.

En vertu de celles-ci, pour chaque nouveau contrat ou toute modification significative d’un contrat existant, son concepteur (assureur ou intermédiaire) devra suivre un processus de validation définissant le « marché cible », évaluant les risques pertinents pour ce marché et déterminant une stratégie de distribution adaptée. Ces informations, régulièrement revues, seront mises à la disposition des distributeurs qui devront se pourvoir de moyens appropriés pour comprendre les caractéristiques et le marché cible du produit concerné.

Quoique ce dispositif participe à la maitrise du risque client, il n’est pas étranger à la maitrise des risques de l’entreprise d’assurance dont les outils sont déclinés par la réforme Solvabilité 2[13]. Par ailleurs, sa mise en œuvre, qui sera précisée par des actes délégués, soulève plusieurs interrogations. Ainsi, quelle sera la latitude des professionnels pour l’identification d’un marché cible et selon quels critères seront-ils contraints de le définir ? En outre, comment concilier la gouvernance produit et la prestation de conseil : le respect de la cible préjugera-t-il de l’adéquation du produit conseillé ? Le distributeur pourra-t-il commercialiser auprès d’un client hors cible un contrat qu’il estimerait néanmoins adapté ?

 

  1. La fourniture de conseils

Avec la DDA, le conseil n’est plus conçu comme une obligation préludant à la souscription d’un contrat d’assurance mais comme une véritable activité de distribution consistant en « la fourniture de recommandations personnalisées à un client, à sa demande ou à l’initiative du distributeur de produits d’assurance, au sujet d’un ou plusieurs contrats d’assurance ».

Partant, avant la souscription d’une assurance, le distributeur devra indiquer à son client s’il se livre ou non à cette activité et, le cas échéant, lui fournir une recommandation expliquant pourquoi le produit conseillé correspond le mieux à ses exigences et à ses besoins. En outre, s’il prétend fonder son conseil sur une « analyse impartiale et personnalisée », il l’indiquera à l’éventuel preneur et devra examiner un nombre suffisant de contrats offerts sur le marché à l’effet d’émettre sa recommandation. Si, à l’inverse, le distributeur informe son client qu’il ne lui fournira pas de conseils, il veillera cependant à ce que le contrat proposé soit « cohérent » avec le profil de ce dernier. C’est dire que, même dépourvue de conseils préalables, la souscription d’un contrat d’assurance ne dispensera pas le professionnel de diligenter un processus KYC (know your customer ou « connaître son client ») l’obligeant à préciser, suivant les informations qu’il a recueillies et la complexité du produit proposé, les exigences et les besoins de son client.

S’agissant des IBIPs, la future directive reproduit la graduation développée dans la Mifid 2, créant ainsi un véritable service de conseil en investissement assurantiel. Ainsi, l’acte de conseil prendra la forme d’un test d’adéquation (suitability test) à l’issue duquel le distributeur recommandera un produit adapté au profil de son client, notamment à ses connaissances dans le domaine d’investissement concerné, sa tolérance au risque et sa capacité à subir des pertes. Précisons qu’au titre des informations précontractuelles, le distributeur devra indiquer au client s’il renouvellera ce test à l’égard du produit recommandé. Dans l’affirmative, la déclaration initiale d’adéquation sera périodiquement mise à jour. Par ailleurs, les Etats membres pourraient exiger que le distributeur mentionne si son conseil est fourni sur une base indépendante et, dans ce cas, le contraindre à l’analyse d’un nombre et d’une variété suffisants de contrats disponibles sur le marché.

Si le distributeur déclare ne pas réaliser de conseils, il devra néanmoins vérifier que le contrat proposé est approprié pour le client (appropriatness test), au regard notamment de ses connaissances et de son expérience dans le domaine d’investissement concerné. S’il s’avère que les renseignements recueillis sont insuffisants ou que le produit considéré est inapproprié, le client devra en être formellement averti avant de procéder à la souscription. Enfin, la DDA prévoit que les Etats membres pourront dispenser les distributeurs d’IBIPs de réaliser l’appropriatness test à condition que le client en soit informé, qu’il soit à l’initiative de la commercialisation et que les produits distribués soient jugés non-complexes. Toutefois, même en cette occurrence, le professionnel restera tenu de ses obligations en matière de gestion des conflits d’intérêts (cf. supra).

Il importe de préciser que la DDA est d’harmonisation minimale, si bien que les pays européens auront la faculté de maintenir ou d’introduire des mesures plus strictes dans leur droit national. Il est ainsi probable que le droit français maintienne son actuel dispositif qui impartit aux organismes comme aux intermédiaires d’assurance un devoir de conseil pour toute souscription d’un contrat d’assurance-vie rachetable[14] ; à moins que le législateur ne l’assouplisse pour les clients professionnels au sens de la Mifid 2 comme le lui permet la DDA… Quel que soit le choix retenu, il s’imposera aux distributeurs intervenant sous passeport européen auprès de résidents français.

 

 

[1] Règl. UE n° 1286/2014 du 26 novembre 2014, JOUE 9/12/2014, L 352/16. Cf. P.-G. Marly, « La transversalité en acte : le règlement PRIIPs du 26 novembre 2014 », RTDF, 4/2014, p. 63 ; G. Parléani, « Le règlement « PRIPs » (sic) 1286/2014 du 26 novembre 2014, ou le formalisme au secours des investisseurs et du marché », RGDA 1er mai 2015 n° 5, P. 231 ; M. Stork, « Le règlement UE du 26 novembre 2014 sur les documents d’information clés relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance », RTD com. 2015, p. 823.

[2] I.e. les assurances en cas de décès d’origine exclusivement accidentelle ou pathologique, ainsi que certains produits de retraite (Règl.UE n° 1286/2014, art. 2.2.).

[3] Cf. P.-G. Marly, « A la frontière du droit financier et du droit des assurances », in Mél. Le Cannu, p. 709 ; « Vers une harmonisation des règles de commercialisation en matière financière, bancaire et assurantielle », RTDF 2009/04, p. 90.

[4] Position du Parlement européen arrêtée en première lecture le 24 novembre 2015 en vue de l’adoption de la directive (UE) 2015/… du Parlement européen et du Conseil sur la distribution d’assurances (refonte), P8_TC1-COD(2012)0175.

[5] Cf. EIOPA, Opinion on sales via Internet of insurance and pension products, BoS-14/198, 28 janvier 2015.

[6] Précisons que les assureurs ou les intermédiaires qui recourront aux services d’un distributeur ainsi exempté, devront néanmoins veiller à ce que certaines exigences relatives à l’information et la connaissance des clients finaux soient respectées.

[7] CEIOPS, Advice to the European Commission on the revision of the Insurance Mediation Directive (IMD), 11 novembre 2010.Adde. P.-G. Marly, « L’impulsions consumériste du droit européen de l’intermédiation en assurance », RTDF 2012/3 ; « Vers une révision de la Directive 2002/92/CE sur l’intermédiation en assurance », RTDF 2010/4.

[8] En droit français, selon l’article R. 511-3 II du code des assurances, seul le courtier qui se fonde sur une analyse objective du marché (courtier dit « c ») doit communiquer au client qui en fait la demande, et qui cherche à contracter pour des raisons professionnelles, le montant de la rémunération qu’il perçoit sur le contrat proposé, à condition que la prime annuelle relative à celui-ci excède 20 000 euros.

[9] Cf. D. Langé, « La révision de la directive européenne sur l’intermédiation en assurance est en marche », RGDA 2014, n°2, p. 91.

[10] Dir. 2002/92/CE, art. 12.

[11] Sur cette prohibition, cf. G. Kolifrath, « Les rétrocessions de commissions : une révolution des systèmes de rémunérations ? », RISF, 2015/2, p. 7.

[12] EIOPA, Technical advice ou conflicts of interest in direct and intermediated sales of insurance-based investment products, EIOPA-15/135, 30 janvier 2015. Cf. P. Pailler, « Distribution de produits d’investissement assurantiels : haro sur les conflits d’intérêts », RISF, 2015/2, p. 83.

[13] Cf. Joint Committe, Joint Position of the European supervisory Authorities on manufacturer’s product oversight & governance processes, JC-2013-77. Adde. EIOPA, Consultation Paper on the proposal for preparatory Guidelines on product oversight & governance arrangements by insurance undertakings and insurance distributors, EIOPA-CP-15/008, 30 octobre 2015.

[14] C. ass., art. L. 521-1 et art. L. 132-27-1. Cf. P.-G. Marly, « La mise en œuvre du nouveau devoir de conseil dans la commercialisation de l’assurance vie », RTDF 2010/2, p. 99.