De la distinction entre l’assurance-vie en unités de compte et la gestion de portefeuille sous mandat

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Commentaire sous Cass. com., 14 déc. 2010, n° 10-10207, Bull. Joly Bourse, mars 2011 n° 3


RESUME

 » Dans un contrat d’assurance-vie libellé en unités de compte, il n’est pas rare que l’assureur confie la gestion des actifs sous-jacents à un prestataire habilité. Celui-ci fut-il désigné par le souscripteur, seul l’assureur en est le cocontractant au titre de la gestion déléguée. C’est, en substance, ce que rappelle la Cour de cassation dans un récent arrêt honoré d’une publication au Bulletin.

En l’espèce, un assureur avait commis une banque à la gestion des fonds dédiés auxquels étaient adossés plusieurs contrats d’assurance-vie. Il était toutefois convenu qu’à la demande des souscripteurs, l’assureur avait la possibilité d’opérer une substitution de gestionnaire, ce qu’il fit à deux reprises. Reprochant des fautes de gestion au second prestataire ainsi désigné, les preneurs l’assignèrent, ensemble avec l’assureur, en paiement de dommages et intérêts. Ils soutenaient notamment qu’un contrat s’était formé entre eux et ce prestataire qui, sous le contrôle de l’assureur, aurait préalablement dû s’enquérir de leurs objectifs de gestion. Ces allégations sont rejetées par la Cour d’appel dont la décision est pleinement approuvée par les hauts magistrats.

Ces derniers relèvent ainsi que l’assureur étant propriétaire des supports financiers du contrat litigieux, il était seul habilité à en pouvoir externaliser la gestion auprès d’un professionnel agréé. Quand même ce professionnel fut choisi par les souscripteurs, ces derniers n’en demeuraient pas moins tiers au mandat de gestion qui s’était noué entre lui et leur assureur.

La solution rappelle utilement que les supports d’unités de compte n’appartiennent pas au souscripteur mais à l’assureur qui les gère pour son propre compte et non pour le compte de tiers. L’assurance-vie se départit ainsi de la gestion individuelle sous mandat où l’investisseur demeure propriétaire des titres qu’il a confiés au prestataire. Il suit logiquement que les preneurs ne pouvaient prétendre effectuer ni déléguer la gestion d’actifs qui ne leur appartenaient pas. Aussi, même s’ils ont désigné le gestionnaire délégué, seul l’assureur pouvait contracter avec celui-ci.

En l’absence de liens contractuels avec les souscripteurs, ce gestionnaire ne pouvait donc être redevable à leur égard d’obligations précontractuelles. Et, comme si cet argument n’y suffisait, la Cour de cassation relève également que le changement de gestionnaire n’avait pas modifié l’orientation de gestion antérieurement retenue par les souscripteurs dans leur contrat d’assurance. Sauf s’ils avaient exprimé le souhait d’amender cette orientation, le gestionnaire n’était donc pas tenu de s’enquérir de leurs objectifs, ni l’assureur de vérifier l’accomplissement de cette obligation. Au vrai, même si les preneurs avaient sollicité un tel amendement, le nouveau gestionnaire n’aurait pas davantage contracté avec eux, ce qui le dispensait également d’un devoir de conseil.

En toute occurrence, les souscripteurs pourraient néanmoins rechercher la responsabilité délictuelle dudit gestionnaire s’ils démontraient sa faute contractuelle dans le mandat confié par l’assureur[1]. Faudrait-il encore qu’ils parviennent à prouver, d’une part, que le gestionnaire a outrepassé les limites d’investissement que l’assureur lui avait conventionnellement fixé, d’autre part, que ce manquement est la cause de leur préjudice financier. « 


[1] Ass. plén., 6 oct. 2006, Bull. civ., n° 9 ; R., p. 398 ; BICC 1er déc. 2006, note et rapp. Assié, concl. Gariazzo ; D. 2006. Jur. 2825, note Viney ; ibid. 2007. IR 2484, obs. Gallmeister ; ibid. Pan. 1831, obs. Rozès; AJDI 2007. 295, note Damas ; RDI 2006. 504, obs. Malinvaud ; dans le même sens, V. Ass. plén., 9 mai 2008, Bull. AP, n° 3 ; R., p. 317; BICC 1er juill. 2008, rapp. Foulquié et avis de Gouttes ; AJDI 2008. 878, note Thioye; V. aussi not., Com. 6 mars 2007, Bull. civ. IV, n° 84 ; D. 2007. AJ 1078, obs. Chevrier ; Civ. 2e, 10 mai 2007, Bull. civ. II, n° 126 ; D. 2007. AJ 1502 ; ibid. 2007. Pan. 2897, obs. Jourdain ; Civ. 1re, 15 mai 2007, Bull. civ. I, n° 193 ; D. 2007. AJ 1594 ; ibid. 2007. Pan. 2901, obs. Jourdain; Civ. 3e, 4 juill. 2007, Bull. civ. III, n° 121 ; D. 2007. AJ 2102 ; ibid. 2007. Pan. 2897, obs. Jourdain. En dernier lieu : Civ. 3ème, 3 juillet 2010, n° 09-67.516.