Renonciation abusive au contrat d’assurance-vie

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CA Paris, Pôle 02 Ch. 05, 30 janvier 2018, n° 16/08390 ; CA Paris, Pôle 02 Ch. 05, 23 janvier 2018 N° 16/14342 : Banque & Droit, n°178 mars-avril 2018, p. 44, commentaire du Professeur Pierre-Grégoire Marly

 

EXTRAIT

Le 19 mai 2016, la Cour de cassation réformait la jurisprudence qu’elle avait inaugurée dix ans plus tôt et qui énonçait : « l’exercice de la faculté de renonciation prorogée, ouverte de plein droit pour sanctionner le défaut de remise à l’assuré des documents et informations énumérés par ce texte (i.e. C. ass. art. L. 132-5-1) est discrétionnaire pour l’assuré dont la bonne foi n’est pas requise. »[1]. (…)

Critiquée par une doctrine unanime, la Cour régulatrice a donc fini par changer de cap[2], (…)

Le revirement opéré en 2016 affirme, d’une part, que si la faculté prorogée de renonciation prévue art. L. 132-5-2 du code des assurances revêt un caractère discrétionnaire, son exercice peut dégénérer en abus et, d’autre part, que « ne saurait être maintenue la jurisprudence initiée par les arrêts du 7 mars 2006 qui, n’opérant pas de distinction fondée sur la bonne ou la mauvaise foi du preneur d’assurance, ne permet pas de sanctionner un exercice de cette renonciation étranger à sa finalité et incompatible avec le principe de loyauté qui s’impose aux contractants ». Selon les hauts magistrats, la renonciation est donc réputée abusive lorsqu’elle est détournée de sa finalité et qu’au lieu de protéger le consentement du preneur mal informé, elle lui permet d’échapper au risque financier qu’il a délibérément pris. Un tel détournement est apprécié en fonction de la « situation concrète » du renonçant, sa « qualité d’assuré averti ou profane » et les « informations dont il dispose réellement ».

Il revient désormais aux juges du fond d’éprouver ces critères, ce que fit récemment la cour d’appel de Paris par plusieurs arrêts dont deux retiendront notre attention.

(…)

Au bilan, si les décisions rapportées éclairent sur les circonstances traduisant l’abus de renonciation, elles laissent entière la question du sens de cet abus : est-ce l’abus « par déloyauté » ou « par détournement » qui doit être sanctionné[5] ? Il semble que les deux se combinent, en sorte que le détournement présume la mauvaise foi du souscripteur.

 

 

 

[1] Civ. 2., 7 mars 2006, n° 05-12.338 et n° 05-10.366, Bull. II n° 63 p. 57

[2] Civ. 2, 19 mai 2016, n° B 15-18.69 ; Civ. 2, 19 mai 2016, n° B 15-18.69 et n° A 15-18.690.

[3] L. n° 2014-1662 du 30 décembre 2014, art. 5 : LEDA Février 2015, p. 1, obs. P.-G. Marly ; Resp. Civ. et assur. n° 4, 2015, étude 4, note Ph. Pierre.

[4] Notons que dans une autre décision, la même cour d’appel a également qualifié d’abusive une renonciation dont l’auteur avait déclaré lors de la souscription correspondre au profil de risque maximum et avoir de bonnes connaissances en matière financière que son courtier avait d’ailleurs confirmées (CA Paris, Pôle 02 Ch. 05, 23 janvier 2018 N° 16/14342).

[5] Sur cette distinction, cf. Ph. Stoffel-Munc, L’abus dans le contrat, Essai d’une théorie, LGDJ, 2000