Confusion autour du débiteur de conseil

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A paraître à la RTDF 2017/3, quelques réflexions du Professeur Pierre-Grégoire Marly sur l’obligation de conseil du courtier à partir de récentes décisions judiciaires et disciplinaires

 

L’obligation de conseil en assurance contraint son débiteur à préciser les exigences et les besoins du potentiel souscripteur, ainsi que les raisons justifiant le choix du contrat proposé[1]. A cette fin, le conseiller doit préalablement obtenir de son interlocuteur diverses informations concernant notamment, en matière d’assurance-vie rachetable, sa situation patrimoniale, ses objectifs d’investissement, ainsi que ses connaissance et son expérience dans le domaine financier[2]. Pratiquement, ce recueil d’informations est servi par un questionnaire au bilan duquel le professionnel identifie un produit dont il établit la congruence au profil du candidat à la souscription[3]. Ratione personae, cette diligence incombe soit à l’intermédiaire, soit à l’organisme d’assurance s’il commercialise directement des produits d’investissement assurantiels (IBIP’s)[4].

Cette alternative se trouve toutefois perturbée dès l’instant où d’autres maillons s’intercalent dans la chaine de distribution jusqu’au client final (1.). N’était son identification, le statut du conseiller peut également souffrir d’une certaine confusion (2.)

  1. L’identité du conseiller

Il advient fréquemment qu’entre un assureur et son assuré s’interposent plusieurs professionnels aux rôles variables. Outre des intermédiaires nommés, dont l’activité consiste précisément à distribuer les contrats d’assurance[5], d’autres acteurs peuvent intervenir tel que le souscripteur qui contracte l’assurance collective à laquelle vont adhérer les assurés ou le courtier grossiste qui conçoit le produit avant de le placer par le déploiement réticulaire de courtiers directs.

Lorsque ces différents professionnels s’entremêlent, lequel d’entre eux est tenu de conseiller le candidat à l’assurance ? La réponse s’avère délicate comme l’illustre une récente affaire dans laquelle, à l’effet de garantir le remboursement de son prêt immobilier, un emprunteur avait adhéré par l’entremise d’un courtier direct au contrat d’assurance de groupe souscrit par une association auprès d’un assureur qui en avait confié la gestion à un courtier grossiste[6].

A ce dernier, l’emprunteur reprochait l’inexécution du conseil précontractuel dont il l’estimait légalement redevable en sa qualité d’intermédiaire d’assurance[7]. La Cour de cassation approuve les juges du fonds d’avoir dénié cette obligation au passif du courtier grossiste qui, « intervenu dans la seule gestion administrative du contrat d’assurance sur délégation de l’assureur, n’avait ni proposé le contrat d’assurance ni participé à l’élaboration de la proposition d’assurance ».

En l’espèce, ce courtier avait remis à l’assuré les documents relatifs au contrat litigieux et ultérieurement échangé avec lui des courriers. Ces tâches ne s’apparentaient cependant pas à des actes de commercialisation mais à des actes de gestion du contrat collectif. De fait, la commercialisation fut l’œuvre du courtier direct dont le nom était d’ailleurs systématiquement mentionné dans les échanges entre le courtier grossiste et le client final.

Reste que, même grossiste, le courtier est un intermédiaire d’assurance, dûment immatriculé à ce titre au registre de l’ORIAS. Sa spécificité, ignorée du code des assurances, ne l’affranchit guère du conseil précontractuel qu’exige sans distinction l’article L. 520-1 dudit code. Toutefois, il peut sembler incongru de lui imposer ce conseil alors qu’il n’entretient concrètement aucune relation avec les candidats à l’assurance et confie à un réseau d’apporteurs le soin d’y pourvoir[8].

C’est pourquoi, en 2009, la Chambre syndicale des courtiers d’assurances (CSCA) élaborait un code de conduite destiné notamment à « rationnaliser » l’accomplissement du conseil en présence de courtiers grossistes et directs. Suivant ce document, « concernant le produit d’assurance qu’il conçoit et qu’il place, le Courtier grossiste apporte au Courtier direct tout son savoir faire et toute l’assistance rendus nécessaires à la délivrance d’une information et d’un conseil de qualité́ pour le Client à travers la remise par le Courtier direct du document d’information et de conseil ». Il est clairement indiqué que « le Courtier direct signe seul, remet et fait signer par le Client le document d’information et de conseil ». Exceptionnellement, si à la demande du courtier direct il participait à l’analyse des besoins du client, le courtier grossiste signerait également ce document en qualité de codébiteur du devoir de conseil.

Au fond, la décision rapportée consacrerait donc cette solution en énonçant que le courtier grossiste, cantonné ici au rôle de gestionnaire délégué, n’était débiteur à l’égard du futur adhérent d’aucune obligation de conseil. D’où il s’infère, a contrario, que s’il avait rempli un quelconque office commercial, il eut été redevable de conseil.

Au lieu de cette casuistique, il peut être tentant de procéder par systématisation. Selon une première conception, dès lors que par définition le courtier grossiste crée et anime un réseau de distribution pour assurer la diffusion des produits qu’il élabore, il devrait être réputé intermédiaire d’assurance et débiteur du conseil afférent nonobstant l’absence de contact direct avec la clientèle. A rebours, suivant une seconde conception, cette absence de contact direct dans l’acte de distribution contrarierait sa qualité d’intermédiaire d’assurance et l’obligation de conseil qui en découle[9].

En attendant une hypothétique clarification législative dans un sens ou dans l’autre, il convient toutefois de s’en tenir l’arrêt précité qui, sans renier l’affiliation du courtier grossiste aux intermédiaires d’assurance, le dispense en l’espèce du conseil procédant de cette affiliation. Mais cette dispense l’exonérait-elle pour autant de toute responsabilité vis-à-vis de l’assuré mal conseillé ? De prime abord, faute d’avoir mandater le courtier direct, le courtier grossiste ne pouvait répondre des agissements de celui-ci comme s’il en était le commettant suivant la fiction instituée à l’article L. 511-1 III du code des assurances[10]. En revanche, au plan disciplinaire du moins, sa responsabilité pouvait être recherchée s’il était établi qu’en vertu du partenariat l’unissant au courtier direct, il le privait de toute autonomie réelle dans l’exécution du conseil.

En ce sens, l’ACPR a sanctionné un courtier qui contrôlait étroitement ses conseillers externes dont il organisait la sélection, la formation ainsi que la documentation[11]. Cette responsabilité n’était donc pas engagée pour le fait d’autrui, ce qui eut ici heurté le principe de personnalité des peines, mais pour le fait personnel du courtier à qui la pleine maîtrise du conseil était dévolue. Certes, la décision fut partiellement réformée devant le Conseil d’Etat pour qui, si l’ingérence du courtier était patente chez ses mandataires, elle n’était pas démontrée à l’endroit de son courtier partenaire avec lequel il était pourtant « imbriqué »[12]. Est-ce à dire qu’une telle ingérence soit absolument exclue entre courtiers à défaut d’un lien de représentation ? A l’analyse, il se concevrait qu’un faisceau d’indices pallie ce défaut et atteste l’emprise de l’un sur l’autre en matière de conseil.

Par ailleurs, en présence d’une assurance de groupe, il importe de ne pas négliger l’entremise du souscripteur à la charge de qui la jurisprudence a progressivement découvert une obligation de conseil. Or, pour peu que le courtier grossiste recueille cette qualité, l’identification du conseiller s’en trouvera un peu plus encore obombrée.

 

  1. Le statut du conseiller

Une fois le conseiller identifié, le contenu de ses obligations devrait logiquement découler du statut dont il relève. Il se trouve pourtant quelques décisions où cette logique est manifestement enrayée.

La première fut rendue par la commission des sanction de l’ACPR au terme d’une procédure disciplinaire diligentée à l’encontre de La Banque Postale (LBP)[13].

En qualité d’intermédiaire d’assurance, cette dernière avait commercialisé des contrats d’assurance-vie en unités de compte adossées à des parts de FCP créés en 2005 et 2006. Alertée en 2011 par l’AMF du spectaculaire recul de la valeur liquidative de ces fonds, LBP avait diffusé en interne une procédure détaillant aux équipes commerciales les mesures à prendre face aux clients qui, désireux de racheter leur contrat d’assurance, s’exposeraient à d’importantes pertes financières. Entre autres préconisations, cette procédure décrivait les étapes du conseil devant être délivré aux clients qui s’orienteraient, après avoir effectué leur rachat, vers la souscription d’un nouveau contrat. A cet égard, il était notamment prévu de formaliser les différentes données du conseil dans des « fiche de préconisation ».

Or, sur un échantillon de souscriptions, l’ACPR a constaté que ces fiches étaient soit inexistantes, soit lacunaires. Mais, c’est un autre manquement qui fonda principalement la condamnation de LBP. En effet, la commission estime que le contrôle interne de celle-ci ne couvrait qu’imparfaitement son activité d’intermédiation en assurance, spécialement le risque de non-conformité tenant aux contrats d’assurance-vie litigieux. Elle relève ainsi que la procédure relative à ces contrats fut mal appliquée et l’objet de contrôles permanents et périodiques « très insuffisants ».

Selon l’Autorité, ces contrôles s’imposaient à LBP en vertu du règlement CRBF 97-02 relatif au contrôle interne des établissements de crédit et des entreprises d’investissement[14]. L’intéressée le contestait au motif que son activité en qualité d’intermédiaire d’assurance n’entrait pas dans le champ d’application du règlement précité. En réplique, l’autorité considère que, « en cohérence avec la volonté du législateur, le contrôle interne des établissements de crédit, y compris le contrôle de conformité de leurs opérations, régi par le règlement n° 97-02, s’applique à l’ensemble de leurs activités ».

Au fond, elle occulte donc tout critère ratione materiae pour circonscrire le domaine de ce règlement qu’elle fonde exclusivement sur un critère ratione personae. Ce faisant, il y inclut une activité qui, sans cette large circonscription, ne serait soumise à aucune réglementation requérant de son auteur le déploiement d’un dispositif de contrôle interne.

Au jugé, une démarche analogue est suivie par l’AMF lorsqu’elle estime que les règles de bonne conduite dont sont tenues les SGP s’étendent à leur activité d’arbitrage entre supports d’unités de compte :

« Il arrive que les souscripteurs d’un contrat d’assurance vie en unités de compte confient à une société de gestion de portefeuille, par le biais d’un mandat, la possibilité, au gré d’arbitrages, de modifier de façon discrétionnaire en leur nom et pour leur compte la répartition des primes versées initialement retenue. Si au plan juridique, un tel mandat, n’est pas constitutif du service de gestion de portefeuille pour le compte de tiers, les unités de compte n’étant pas des instruments financiers, l’AMF demande néanmoins que la société de gestion de portefeuille s’engage à appliquer à cette activité d’arbitrage en unités de compte, des règles d’organisation et de bonne conduite identiques à celles applicables au service de gestion de portefeuille pour le compte de tiers.[15] »

 A l’analyse, Il y a quelque incohérence à reconnaître une différence de nature entre le mandat d’arbitrage et la gestion individuelle pour finalement leur appliquer le même régime ; sauf à faire primer le statut de la SGP sur son activité et la soumettre aux mêmes règles de bonne conduite quelle que soit la prestation fournie. Cette position est toutefois critiquable dans la mesure où le législateur lui-même lie ces règles statutaires à la fourniture du service d’investissement considéré[16].

Plus critiquable encore est la démarche consistant à fonder les obligations du professionnel sur un statut auquel il ne ressortit guère. Ce n’est pas une autorité de régulation, mais la Cour de cassation qui a récemment succombé à ce dévoiement en décidant, au visa des anciens articles 1147 du Code civil et 58 de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996, que « la personne qui commercialise un contrat d’assurance-vie doit s’enquérir des objectifs, de l’expérience en matière d’investissements ainsi que de la situation financière de l’investisseur et lui proposer des placements adaptés à sa situation »[17].

Lorsque l’on sait que l’article 58 susmentionné assignait des règles de bonne conduite aux prestataires de services d’investissement, il est pour le moins surprenant de l’invoquer pour asseoir le devoir de conseil des distributeurs d’assurance-vie, fussent-ils par ailleurs inhabiles à exercer des services d’investissement[18]. Certes, à l’époque des faits, ce devoir de conseil ne s’autorisait d’aucun fondement légal dans le code des assurances. Pour autant, fallait-il découvrir ce fondement dans la loi de modernisation des activité financières alors que le droit commun des contrats suffisait à cet office ?

Cet arrêt en dit long sur l’attraction qu’exerce le droit financier sur l’assurance-vie en unités de compte. Il ne faudrait cependant que la convergence fonctionnelle qui unit cette sorte d’assurance aux autres produits d’investissement ne dégénère en confusion notionnelle !

 

 

[1] C. ass., art. L. 520-1.

[2] C. ass., art. L. 132-27-1.

[3] De prime abord, la future ordonnance transposant la Directive (UE) 2016/97 sur la distribution d’assurances (DDA) ne modifiera ce dispositif qu’à la marge : P.-G. Marly, « Distribution des contrats d’assurance : le nouveau paradigme européen », JCP E 2016, étude n° 1389, p. 41.

[4] C. ass., art. L. 520-1.

[5] C. ass., art. L. 511-1.

[6] Civ. 2, 23 mars 2017, n° 16-15090 : LEDA, mai 2017, p. 7, note L. Daugeron ; RGDA, juin 2017, p. 380, note J. Bigot ; RCA, juin 2017, p. 28, note G. Courtieu.

[7] C. Ass., art. L. 520-1.

[8] Cf. L. Daugeron, « Statut du courtier grossiste : l’ambiguïté perdure… », LTA 2017, n° 227, p. 46.

[9] Cf. L. Lefebvre et E. Le Guilcher, « L’ambigu statut des courtiers grossistes », Bull. Lamy assurance, n° 198, oct. 2012.

[10] « Pour cette activité d’intermédiation, l’employeur ou mandant est civilement responsable, dans les termes de l’article 1242 du code civil, du dommage causé par la faute, l’imprudence ou la négligence de ses employés ou mandataires agissant en cette qualité, lesquels sont considérés, pour l’application du présent article, comme des préposés, nonobstant toute convention contraire. »

[11] ACPR, Décision n° 2014-11 : Banque et Droit, 2015, n° 163, p. 71, note P.-G. Marly.

[12] CE, 7 juin 2017, n°393509 : LEDA, septembre 2017, n° 8, p. 6, obs. P.-G. Marly.

[13] ACPR, Commission des sanctions, Décision du 18 mai 2017, Procédure n° 2016-04.

[14] Ce règlement a été repris par l’arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque, des services de paiement et des services d’investissement soumises au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

[15] Position-Recommandation AMF 2012-19, p. 11.

[16] C’est ainsi que selon l’article L. 533-13 I du Code monétaire et financier, le recueil des éléments de connaissance du client (KYC) en vue de réaliser le test d’adéquation (suitability test) est prescrit « en vue de fournir le service de conseil en investissement ou celui de gestion de portefeuille pour le compte de tiers ». Du reste, l’AMF ne dit pas autre chose dans sa Position n° 2013-02, qui concerne ce recueil des éléments de connaissance du client, et dont elle réserve l’application aux prestataires de services d’investissement « lorsqu’ils fournissent des services de conseil en investissement, de gestion de portefeuille, de réception transmission d’ordres (…) ». En d’autres termes, ces préconisations concernent les professionnels visés pour l’exercice de leur activité réglementée, ne devraient donc pas s’appliquer aux SGP pour l’exécution d’un mandat d’arbitrage.

[17] Com., 22 mars 2017, n° 15-21817.

[18] A quoi s’ajoute que pour censurer la décision entreprise, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de pas avoir recherché si l’intermédiaire d’assurance « avait exécuté son obligation de vérification de l’expérience de sa cliente en matière d’investissements et du caractère approprié du produit financier souscrit aux objectifs de celle-ci ». En d’autres termes, après avoir affirmé que cet intermédiaire était tenu de réaliser un test d’adéquation, elle reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifier si ce dernier avait accompli le test du caractère approprié…