L’avènement des fonds de pension à la française

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Article rédigé par le Professeur Pierre-Grégoire Marly et publié dans la RTDF 2017/2.

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En surérogation des régimes de base et complémentaires obligatoires, la retraite professionnelle supplémentaire (RPS) rassemble les contrats d’assurance par capitalisation que souscrivent les employeurs au profit de leurs salariés ainsi que les associations au profit de leurs adhérents travailleurs non-salariés ou agriculteurs[1]. Communément destinés à la constitution d’une rente viagère, ces contrats présentent toutefois des caractéristiques variables suivant le dispositif dont ils procèdent : contrats relevant de l’article 39 ou 83 du code général des impôts, plans d’épargne retraite d’entreprise (PERE), contrats « Madelin » ou « exploitants agricoles », plans d’épargne retraite collective (PERCO).

 

A l’exception de ces derniers, les contrats de RPS sont portés par les organismes d’assurance, conformément au vœu exprimé par le législateur français lorsqu’il transposa en 2006 la Directive IORP[2]. En d’autres termes, la France ne dispose pas d’entités dédiées à cette activité, contrairement à ses voisins européens qui ont développé des fonds de pension. Or, la réglementation prudentielle de ces fonds, telle que résultant désormais de la Directive IORP 2[3], est bien mieux adaptée à la RPS que ne l’est celle des assureurs depuis que la réforme « Solvabilité 2 » a lesté sensiblement la charge en capital pour les activités de long terme[4]. Comparés aux fonds de pension étrangers, les assureurs français ont ainsi une capacité limitée d’investir dans des actifs offrant sur la durée un rendement attractif pour les affiliés.

 

C’est pourquoi, peu de temps après que la loi Sapin 2 l’y eut habilité[5], le Gouvernement a pris une ordonnance instituant une nouvelle variété d’organismes spécialisées dans la RPS auxquels il assigne un régime prudentiel ad hoc[6]. Définis comme des personnes morales de droit privé ayant pour objet exclusif la couverture d’engagements de RPS[7], ces organismes sont dénommés respectivement « fonds », « mutuelles » ou « institutions » de RPS selon qu’ils sont assujettis au code des assurances, code de la mutualité ou au code de la Sécurité sociale[8].

 

A l’instar des autres organismes relevant du premier de ces codes, les « fonds de retraite professionnelle supplémentaire » (FRPS) peuvent revêtir la forme d’une société anonyme ou d’une société d’assurance mutuelle dont ils suivent alors les règles de constitution et de fonctionnement[9]. De même, le dispositif encadrant leur agrément par l’ACPR ne présente guère d’originalité, sous réserve des précisions que livrera le futur décret[10]. Il en est également ainsi de leur gouvernance qui est entièrement soumise au référentiel « Solvabilité 2 », fors de possibles ajustements réglementaires[11].

 

C’est évidemment au plan prudentiel que se singularise le régime applicable aux organismes de RPS que l’ordonnance soustrait aux dispositifs issus tant de « Solvabilité 2 » que de « Solvabilité 1 »[12]. Au vrai, leur régime combine mutatis mutandis ces deux systèmes, empruntant notamment au premier le principe de la « personne prudente » en matière d’investissement et, au second, l’exigence d’une marge de solvabilité[13]. Sur ce dernier point, les organismes de RPS seront contraints de réaliser annuellement des « tests de résistance » (stress tests) à dessein d’évaluer leur capacité d’honorer leurs engagements dans des conditions détériorées de marché[14]. Le calibrage de ces tests, dont les critères seront fixés par voie d’arrêté, conditionnera en grande partie le succès du nouveau dispositif.

 

Ce succès dépendra également d’autres facteurs, comme le coût de la mise en place d’un organisme de RPS. A cet égard, chaque assureur désireux de transférer ses engagements de RPS à un tel organisme devra apprécier si le gain en capital escompté compensera suffisamment la moindre diversification de ses actifs. S’il opte néanmoins pour ce transfert, l’assureur a la possibilité, jusqu’au 31 décembre 2022, de déposer auprès de l’ACPR une demande d’agrément en qualité de FRPS.

 

 

 

[1] C. ass., art. L. 143-1.

[2] Dir. 2003/41/CE du 3 juin 2004. Sur l’agrément des organismes d’assurance exerçant l’activité de RPS, cf. P.-G. Marly et V. Ruol, Droit des entreprises d’assurance, RB édition, 2011, n° 186 et suiv.

[3] Dir. 2016/2341 du 23 déc. 2016.

[4] P.-G. Marly, « L’avènement de la réforme Solvabilité 2 en droit français », RTDF 2015 n°1/2, p. 111. Rappelons que sous le régime Solvabilité 2, les assureurs sont tenus de respecter un capital de solvabilité requis (CSR) qui correspond au niveau de fonds propres dont ils ont besoin pour limiter leur probabilité de ruine à 0,5% à l’horizon d’un an. En d’autres termes, ce minimum de capital réglementaire détermine la valeur en risque (Value-at-Risk) des fonds propres de base (i.e. les excédents d’actifs par rapport aux passifs et les engagements subordonnés), avec un niveau de confiance de 99,5 % à un horizon annuel. Avec cet horizon de risque à très court terme, la charge en capital est mécaniquement alourdie pour les branches longues comme les engagements de RPS.

[5] L. n° 2016-1691 du 9 déc. 2016, art. 114. Cf. P.-G. Marly, « Loi Sapin 2 : aspects de droit des assurances », JCP E n° 17, 27 avril 2017, p. 25.

[6] Ord. n° 2017-484 du 6 avril 2017.

[7] C. ass., art. L. 381-1.

[8] Le régime commun au divers organismes de RPS est toutefois consigné dans le code des assurances auquel renvoient alors les deux autres codes (C. ass., art. L. 310-1, al. 2).

[9] C. ass., art. L. 381-3.

[10] C. ass., art. L. 382-1 et s.

[11] C. ass., art. L. 385-5.

[12] C. ass., art. L. 310-3-3.

[13] C. ass., art. L. 385-1 et s.

[14] C. ass., art. L. 385-3.