Composition des unités de compte : entre ouverture et restriction

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Article rédigé par le Professeur Pierre-Grégoire Marly à la Revue Trimestrielle de Doit Financier (RTDF 3/2016).


 

De la récente jurisprudence relative à l’assurance-vie saillissent deux décisions précisant la composition des unités de compte : l’une, accommodante, admet dans cette composition les titres apportés par le souscripteur en règlement de la prime (1.), l’autre, restrictive, y soustrait les titres obligataires dépourvus d’une garantie en capital (2.).

 

  1. Une ouverture : l’apport de titres en règlement de la prime

 Certains contrats d’assurance-vie libellés en unités de compte offrent à leur souscripteur une gestion personnalisée des actifs sous-jacents. Ainsi en est-il des contrats « à fonds dédiés fermés » dont les supports financiers sont réservés à un preneur en particulier[1].

Incités par une réglementation libérale, les assureurs luxembourgeois ont fait de cette variété contractuelle un produit emblématique qu’ils diffusent largement hors de leurs frontières par la vertu du passeport européen. Les formules proposées aux résidants étrangers stipulent fréquemment le versement des primes sous forme d’un transfert de titres à l’assureur. Cette modalité permet ainsi au souscripteur de « loger » directement dans son contrat un portefeuille d’actifs préexistant. Autrement dit, elle lui évite de devoir liquider le portefeuille afin de régler la prime, puis de le reconstituer en réinvestissant celle-ci dans des valeurs similaires[2].

Si cette faculté de versement, assise sur une dation en paiement, est admise par le droit du Grand Duché, elle ne jouit cependant pas toujours de la même reconnaissance par le droit de l’Etat membre du souscripteur. En France, quoique le code des assurances ne l’interdise guère, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) y semble ainsi opposée[3], autant que les entreprises membres de la nouvelle Fédération française de l’assurance[4].

Dans ce contexte équivoque, un résident français soutenait l’illicéité du paiement des primes par apport de titres et l’annulation subséquente de son contrat souscrit auprès de la société luxembourgeoise Natixis Life. Ce contrat avait été alimenté par les parts d’un OPCVM dont les actifs furent intégralement investis dans la société Bernard Madoff Investment securities, d’où son inexorable dévaluation.

Débouté en appel, le preneur vit son pourvoi rejeté par la Cour de cassation au motif qu’ « aucune disposition légale d’intérêt général ne prohibe la distribution en France par un assureur luxembourgeois de contrats d’assurance sur la vie qui sont régis par la loi française mais dont les caractéristiques techniques et financières relèvent du droit luxembourgeois conformément à l’article 10-2 de la directive 2002/ 83/ CE du 8 novembre 2002 et permettent l’apport de titres sur des fonds dédiés fermés »[5].

Pour les hauts magistrats, si le contrat litigieux est bien régi par le droit français conformément au critère du « lieu d’engagement », les modalités de cotisation relèvent des « données techniques et financières » de l’opération qui sont soumises, quant à elles, au droit de l’assureur, luxembourgeois en l’espèce. Un correctif à l’application de ce droit étranger résiderait dans l’existence d’une règle française d’intérêt général selon la définition que la jurisprudence européenne retient de ces normes restrictives[6]. Or, il ne se trouve dans notre droit aucune norme de cette nature qui prohibe le paiement des primes sous forme d’apport de titres ; sauf a requalifier l’opération de fiducie qui, consentie à titre libéral, est passible de nullité en vertu de l’article 2013 du Code civil…

Sans l’aborder, la décision rapportée effleure une autre interrogation soulevée par les contrats luxembourgeois distribués en France : quel droit régit l’éligibilité des supports d’unités de compte ? Cette question intéresse-t-elle le régime du contrat d’assurance (soumis au droit français) ou celui de l’organisme assureur (soumis au droit luxembourgeois) ? Interrogées en leur temps, la Commission de contrôle des assurances (CCA) puis l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM) opinait en faveur l’application du droit français en se fondant sur un argument textuel : la composition des unités de compte est régie par les articles L. 131-1 et R. 131-1 du code des assurances qui figurent parmi les dispositions du Livre 1er consacré au contrat d’assurance. Certes, l’article R. 131-1 précité renvoie à la liste des actifs dressée à l’article R. 332-2 du même code et qui, lui, relève du Livre 3 relatif aux entreprises d’assurance. Ce nonobstant, les articles L. 131-1 et R. 131-1 devrait prévaloir en raison, notamment, de leur impérativité.

Au vu de la décision commentée, cette position est-elle encore tenable ?

 

  1. Une restriction : l’inéligibilité des obligations dépourvues de garantie en capital

Dans une assurance-vie libellée en unités de compte, les primes sont converties en actifs de référence dont l’assureur promet uniquement de régler la contrevaleur à l’échéance, exposant ainsi son cocontractant au risque de fluctuation à la baisse[7]. Afin de mitiger ce risque, les supports éligibles au contrat doivent offrir « une protection suffisante de l’épargne investie » et relever des classes d’actifs inventoriées à l’article R. 131-1 du code des assurances. Cet inventaire renvoie à la plupart des titres de capital, titres de créance et parts d’OPC que décline l’article R. 322-2 du même code dans sa liste des « valeurs mobilières et titres assimilés » susceptibles de couvrir les engagements réglementés des assureurs encore soumis au régime prudentiel « Solvabilité 1 ».

Devant une cour d’appel, le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie soutenait que le placement financier vers lequel fut arbitrée l’intégralité de sa prime, n’était pas admissible en tant que support d’unité de compte. Dénommé « Optimiz Presto 2 », ce placement était présenté, dans son prospectus approuvé par le superviseur luxembourgeois, comme « une obligation construite dans la perspective d’un investissement sur la durée totale de la formule et donc d’un remboursement à maturité ou une date d’activation du remboursement anticipé ». Concrètement, sa valeur était indexée sur la performance d’un panier d’actions et assortie d’un mécanisme de maturité anticipée qui exposait l’investisseur à un risque de perte en capital. Le remboursement du nominal n’étant pas garanti, le souscripteur déniait au produit litigieux la qualification de titre obligataire et, partant, son éligibilité à l’assurance-vie. S’il n’a guère prospéré en première instance, ce raisonnement est repris par la cour d’appel qui condamne l’assureur à « réparer le préjudice résultant d’un investissement que l’assuré de pouvait légalement faire »[8].

A trois égards au moins, cette décision est contestable.

Tout d’abord, en affirmant que le remboursement intégral du nominal est une « caractéristique essentielle » des obligations, les magistrats d’appel s’émancipent de la Loi qui définit celles-ci comme des titres négociables conférant, au sein d’une même émission, « les mêmes droits de créances pour une même valeur nominale »[9]. A l’évidence, cette définition ignore l’exigence d’une garantie en capital, ce que conforte la libre indexation des titres obligataires dont la valeur de remboursement comme le montant des intérêts peuvent varier suivant l’évolution d’un indice fixé à l’émission[10]. Certes, les obligations représentent un prêt qui engendre au passif de l’émetteur-emprunteur une obligation de restitution. Toutefois, les règles ordinaires de ce contrat sont éclipsées par le régime spécial des titres qui le constatent, de sorte qu’une restitution par équivalent de l’objet prêté ne s’impose pas ici. Du reste, l’avance sur un contrat d’assurance n’est-elle pas qualifiée de prêt à intérêt quand même le souscripteur n’est pas tenu à son remboursement ?[11]

Ensuite, l’article R. 332-2 précité ne distingue pas selon la complexité des obligations qu’il mentionne. En revanche, l’ACPR recommande que la commercialisation d’assurances-vie en unités de compte assises sur des instruments financiers complexes obéisse à des contraintes spécifiques[12]. Reste que, entre ces contraintes de distribution et l’interdiction de proposer les contrats visés, il est un pas difficile à franchir. Du reste, l’existence même de cette recommandation du régulateur, qui vise expressément les contrats adossés aux « titres de créance complexes », ne confirmerait-elle pas l’admissibilité de ces actifs comme support d’unités de compte ?

Enfin, il ne suffit pas que les titres litigieux soient écartés de la catégorie des obligations « ordinaires » pour justifier leur éviction de l’article R. 131-1 précité. Encore faut-il identifier leur exacte nature et la confronter aux variétés d’actifs éligibles en vertu de ce texte et, par renvoi, de l’article R. 332-2 susmentionné. Rappelons que l’ACAM avait de ce second texte une lecture compréhensive en reconnaissant, sous certaines conditions, l’assimilation aux BMTN des EMTN dont relèveraient précisément les supports litigieux[13].

L’assureur condamné a fait savoir dans un communiqué qu’il formait un pourvoi contre la décision. Si d’aventure il était rejeté, la Cour de cassation ouvrirait immanquablement la voie d’un nouveau contentieux de masse à l’heure où elle referme justement celui du droit de renonciation[14]…

 

 

 

[1] J. Bigot et alii, Traité de droit des assurances, Tome 4, LGDJ, n° 576.

[2] Eva Gyori-Toursel, « Assurance-vie en unités de compte : les incohérences du droit français » : RGDA sept. 2016, p. 388.

[3] Cf. Audition par Commission des finances du Sénat de Mme Sandrine Lemery, secrétaire générale adjointe de l’ACPR : « Notre interprétation, qui doit être confirmée par la Cour de cassation, est que l’apport de titres n’est pas possible en droit français. Nous en tirons donc, dans les contrôles qui relèvent de notre juridiction, les conséquences prudentielles en matière fiscale ou en termes de sommes dues aux entreprises. » (https://www.senat.fr/presse/cp20150521.html)

[4] Recueil des engagements à caractère déontologique des entreprises d’assurance membres à la FFSA ou du GEMA, janvier 2016, p. 41.

[5] Civ. 2, 19 mai 2016, n° 15-13606, FS-P+B+R+I.

[6] Commission européenne, Communication interprétative 2000/C 43/03.

[7]C. Ass., art. L. 131-1, al. 2.

[8] CA Paris, Pôle 2, Chambre 5, 21 juin 2016, n° 2010/230 : BJB sept. 2016, p. 369, note G. Endréo.

[9] C. Mon. et Fin., art. L. 213-5.

[10] C. Mon. et Fin., art. L. 112-3-1.

[11] Cf. P.-G. Marly, Droit des assurances, Dalloz 2013, n° 380.

[12] ACP, Recommandation 2010-R-01, Banque et Droit n° 133, p. 40, comm. P.-G. Marly.

[13] Cf. P.-G. Marly, Entreprises d’assurance, JCl Encycl. Fasc. 504-60, n° 141.

[14] Civ. 2, 19 mai 2016, n° 15-12767, FS-B+B+R+I : Banque et Droit Juill.-août 2016, chron. Bancassurance, commentaire P.-G. Marly

Par Pierre-Grégoire Marly