ACP, sanct., 18 juin 2013, ARCA Patrimoine, Commentaire par le Professeur Pierre-Grégoire Marly, Bulletin Joly Bourse (BJB), Nov. 2013, p. 534
EXTRAIT
« Il est loin le temps où l’adage sommait l’acquéreur d’être curieux avant de s’engager[1]… Dans la vente comme dans d’autres contrats, le devoir de se renseigner s’est progressivement éclipsé en faveur du droit d’être éclairé sur le bien ou le service contemplé. Invoquant à l’origine le droit commun des conventions, les tribunaux ont ainsi révélé au passif de celui qui sait une obligation d’information et de conseil en faveur de celui qui ignore[2] ; une tendance jurisprudentielle qu’au fil de réformes consuméristes, le législateur a transcrit dans nombre de droits spéciaux. A chaque fois, le devoir négatif de ne pas abuser le contractant supposé faible s’augmente du devoir positif de l’assister[3] ; par quoi doit théoriquement s’estomper l’infériorité technique du profane dans un débat contractuel au sein duquel l’autonomie de la volonté postule idéalement l’équilibre le plus parfait.
Les courtiers en assurance n’ont guère échappé à cette évolution. C’est ainsi que la Cour de cassation leur assigna une « obligation de conseil et d’exacte information »[4] que la loi consacra ensuite à l’article L. 520-1 du Code des assurances[5]. De ce dispositif, il s’évince qu’au premier contact avec un client, le courtier est tenu de décliner formellement son identité, son immatriculation à l’ORIAS, les coordonnées de son éventuel service de réclamation ainsi que celles de l’ACPR[6], et, le cas échéant, ses liens financiers avec des organismes d’assurance. Il doit ensuite aviser par écrit son interlocuteur des conditions dans lesquelles, selon son degré d’indépendance, il sélectionne le ou les contrats qu’il pourra lui proposer. Afin que cette proposition soit conforme au profil de son client, l’intermédiaire doit préalablement s’enquérir de ses exigences et ses besoins ainsi que, en matière d’assurance-vie rachetable, de ses connaissances et de son expérience en matière financière[7]. A partir de ces données, il doit enfin préciser les raisons l’ayant conduit au choix du contrat proposé.
Ces diligences participant à la protection de la clientèle, l’ACPR s’ingénie à en garantir l’efficience. Dans le cadre de son pouvoir normatif, elle a ainsi multiplié les recommandations traitant directement ou indirectement du devoir de conseil en assurance-vie[8]. Aujourd’hui, c’est en vertu de son pouvoir disciplinaire qu’elle sanctionne pour la première fois un courtier en assurance pour manquement à ses obligations spéciales d’information et de conseil. Au terme d’une motivation dense, le régulateur condamne ainsi l’intermédiaire prévaricateur à un avertissement et une sanction pécuniaire de 150 000 euros. » (…)
[1] Emptor debet esse curiosus.
[2] C. civ., art. 1134 al. 3 ou 1135 du Code civil.
[3] M. Fabre-Magnan, De l’obligation d’information, Essai d’une théorie, LGDJ 1992, n° 50 et s.
[4] Cass. 1ère civ., 10 nov. 1964 : JCP 1965, II, 13981 ; Cass. 1ère civ., 6 nov. 1984 : RGAT 1985, p. 313.
[5] Cf. P.-G. Marly, Droit des assurances, Dalloz, 1ère éd., 2013, n° 64 et s.
[6] Rappelons qu’en vertu de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) est devenue l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
[7] C. ass., Art. L. 132-27-1, C. mut. Art. L. 223-52-3, C. Sécu. Soc., art. L. 932-23.
[8] Voir en dernier lieu la Recommandation 2013-R-01du 8 janvier 2013 sur les informations relatives à la connaissance du client dans le cadre du devoir de conseil en assurance-vie.