Le regroupement des mutuelles

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Le regroupement des mutuelles, Dossier spécial sous la direction scientifique de Pierre-Grégoire Marly, Journal Spécial de Sociétés, Janvier 2011.

Le monde mutualiste, entre constantes et mutations, Avant-propos de Pierre-Grégoire Marly

 » Depuis plusieurs années déjà, la mutualité écrit une nouvelle page de son histoire. Elle y narre le rapprochement de ses acteurs, d’où émergent toutes sortes de groupements aux formes originales.

Cette évolution fut amorcée par l’émiettement du secteur mutualiste et la dilution de son identité sous l’impulsion d’un droit des assurances harmonisé. La réforme « Solvabilité II » l’a ensuite précipitée en favorisant notamment les effets de taille et la diversification des risques : d’envisageables, les concentrations sont alors devenues incontournables. Dans ce contexte,  Olivier de Lagarde identifie trois possibles réactions du monde mutualiste : la première serait sa dissolution dans un secteur financier globalisé ; la seconde consisterait en un repli identitaire ; la troisième résiderait dans une réinvention du secteur mutualiste au-delà de ses frontières originelles. Suivant cette dernière alternative, les convergences structurelles seraient alors moins assises sur une unité statutaire que sur une communauté de valeurs. C’est dire qu’au lieu de l’affaiblir, le système porté par « Solvabilité II » pourrait finalement donner au cercle mutualiste l’opportunité d’une régénération.

En ce sens, certaines formes de regroupements révèlent d’ores et déjà leur propension à stimuler les valeurs mutualistes dans un cadre atypique. Ainsi en est-il de la société de groupe d’assurance mutuelle (SGAM) qui est au code des assurances ce que l’union mutualiste de groupe (UMG) est au code de la mutualité. Sous les dehors d’une holding, cette structure de groupe offre en réalité à ses affiliés un outil coopératif respectueux de leur nature mutualiste : d’un côté, la SGAM est dépourvue de capital social et poursuit un objet non lucratif à l’instar des entités qu’elle fédère ; d’un autre, elle permet à ses membres de nouer des liens de solidarité financière et de piloter efficacement une stratégie coordonnée. Alain Curtet et Jérôme Daros mettent en exergue les vertus de cette dualité et le champ des possibles qu’elle découvre. Outre les statuts de la SGAM, les conventions d’affiliation qui la lient à chacun de ses membres permettent une grande flexibilité dans la répartition des pouvoirs au sein du groupement, parfois même au mépris de l’autonomie des personnes morales qui le compose.

A l’intégration partielle qu’engendre la création d’une SGAM ou d’une UMG, les organismes mutualistes peuvent préférer un simple groupement de moyens. Plusieurs outils répondent à cette fin, dont le groupement d’intérêt économique (GIE) emprunté au code de commerce. Destiné à promouvoir et améliorer l’activité de ses membres dont il est le prolongement, le GIE se signale par la remarquable souplesse de sa constitution et de son fonctionnement. Reste que cet avantage est inexorablement contrebalancé par la responsabilité indéfinie et solidaire de ses membres. Ce nonobstant, Sophie Vercruysse démontre qu’au regard d’autres structures de moyens, telles  l’association et l’union de groupe mutualiste (UGM), le GIE demeure une forme particulièrement attractive.

A l’inverse, les entités mutualistes peuvent aspirer à une intégration totale, de celle qu’offre la société européenne aux groupes capitalistiques par une « succursalisation » de leurs filiales au sein de l’Espace communautaire. Encore faudrait-il qu’un statut de mutuelle européenne voit le jour, ce qui reste incertain en dépit des récentes annonces de la Commission européennes. Jean-Luc de Boissieu rappelle que l’introduction d’un tel statut permettrait de répandre le modèle mutualiste en Europe où, pour l’heure, il n’est pas connu de tous les Etats membres. Par ailleurs, en facilitant les alliances par-delà les frontières nationales, elle doterait les mutuelles d’un instrument juridique capable d’asseoir une position concurrentielle sur le Marché intérieur de l’assurance. Toutefois, les obstacles à ce projet persistent malgré la ferveur de ses partisans. L’utilité-même d’un statut européen est contestée dans un secteur mutualiste dont les acteurs sont majoritairement de petites entreprises locales pour qui un dimensionnement communautaire n’a guère de sens. En outre, les statuts européens existants n’ont pas suscité un engouement tel qu’ils inciteraient à leur multiplication. Enfin, quand même s’accorderait-on sur l’intérêt d’une mutuelle européenne, il resterait à en déterminer le statut, ce qui n’est pas la moindre des difficultés.

Quelle que soit leur configuration, les regroupements de mutuelles font parfois craindre une altération du concept-même de mutualité. De fait, ils manifesteraient un tropisme capitalistique peu compatible avec l’économie solidaire dont la mutualité est issue. La proximité et la démocratie qui singularisent celle-ci ne pourraient que difficilement survivre à une logique d’expansion et de concentration. Selon Karyne Larifla, ces propos sont toutefois excessifs si l’on veut bien démythifier un peu la mutualité que l’on présente trop souvent comme un mécanisme par lequel les assurés seraient leur propre assureur. Au vrai, la réalité est sensiblement plus complexe, ne serait-ce qu’en raison de la personnalité juridique des organismes mutualistes. Surtout, la mutualité est un mouvement avant d’être une institution : celle-ci peut se transformer sans corrompre celui-là. Il appartient alors aux mutuelles, par-delà leurs mutations structurelles, de continuer à porter l’idéal d’entraide et d’égalité qu’elles revendiquent. »

Par Pierre-Grégoire Marly