Avis d’expert par le Professeur Pierre-Grégoire Marly, Newsletter EFE, Actualité de la banque-assurance
« La directive 2016/97/UE (IDD ou DDA) consacre son article 25 à « la surveillance et la gouvernance du produit » (Product Oversight and Governance ou POG). Applicable quelle que soit la nature des contrats distribués, à l’exception de ceux garantissant les « grands risques », cette disposition fera très prochainement l’objet d’actes délégués en prévision desquels l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP ou EIOPA) vient de publier un avis technique (EIOPA-17/048, 1er fév. 2017).
Rappelons que, sur le même sujet, le régulateur européen a également publié en avril 2016 des orientations qualifiées de « préparatoires » (EIOPA- BoS-6-071, 6 avr. 2016). D’ordinaire, les orientations du régulateur européen succèdent aux actes délégués dont elles précisent l’application. Toutefois, concernant la gouvernance du produit, EIOPA avait estimé nécessaires, d’une part, d’instaurer un dialogue précoce entre les superviseurs locaux et les professionnels assujettis au futur dispositif, d’autre part, de contribuer à l’œuvre transversale des autorités européennes de surveillance. De fait, réunies en Joint Committee, celles-ci ont d’ores et déjà présenté une position commune, à la suite de quoi l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF ou ESMA) a publié un avis technique, puis l’Autorité bancaire européenne (ABE ou EBA) ses orientations. A ces déclinaisons sectorielles ne manquait donc plus que la position d’EIOPA qui lança fin 2014 une consultation publique sur un projet concentré toutefois sur la gouvernance des produits par leurs concepteurs. Aussi, l’année suivante, elle renouvela l’exercice en ajoutant au projet primitif un chapitre cette fois dédié à la gouvernance des produits sous l’angle de leurs distributeurs. Cette séquence s’est donc achevée par l’édiction d’orientations « préparatoires » qu’EIOPA réexaminera après l’adoption des actes délégués dont elles préfigurent, au moins partiellement, le contenu.
Schématiquement, la gouvernance d’un produit impartit à son concepteur de suivre un processus de validation définissant le « marché cible », évaluant les risques propres à celui-ci et déterminant une stratégie de distribution idoine. Ces informations, périodiquement revues, sont alors mises à la disposition des distributeurs qui devront se pourvoir de moyens appropriés pour notamment comprendre les caractéristiques et le marché du produit considéré.
L’identification du marché cible constitue donc la clé de voute du nouveau dispositif. Dès la création d’un produit, et non pas seulement lors de sa commercialisation, la clientèle visée doit donc être circonscrite par inclusion comme par exclusion. Aussi, le concepteur est invité à « tester » la compatibilité de ce produit avec la cible envisagée, en éprouvant notamment l’incidence de certaines circonstances tout au long de la vie du contrat.
Reste une question essentielle : selon quels critères définir le marché cible ? A cet égard, EIOPA indique dans son avis précité que le producteur doit prendre en considération, selon une granularité propre à chaque type de produits, les exigences et les besoins du client ainsi que, le cas échéant, ses objectifs d’investissement, sa situation patrimoniale et ses connaissances en matière financière. Force est de constater que ces éléments sont identiques à ceux dont le distributeur doit s’enquérir aux fins de connaître son client et le conseiller. A l’analyse, pourtant, la démarche du concepteur est inverse de celle du conseiller : le premier part d’un produit pour lui assigner une clientèle abstraite tandis que le second part d’un client concret pour lui identifier un produit. En ce sens, la gouvernance est donc moins un pré-conseil qu’un conseil à rebours.
Les deux processus n’en demeurent pas moins difficiles à combiner : le respect de la cible présume-t-il la qualité du conseil ? Au contraire, le conseil peut-il valablement justifier l’irrespect de la cible ? Si l’avis et les orientations d’EIOPA projettent sur ces sujets quelques éclairages utiles, il appartiendra surtout aux professionnels de les traiter dans leurs politiques respectives et leurs conventions de distribution. Ces mêmes conventions devront, en outre, s’acclimater aux nouvelles contraintes qu’impose l’externalisation sous Solvabilité 2 (cf. P.-G. Marly, Trib. Assurance, Droit et Tech., sept. 2015), ainsi qu’aux subtils impacts résultant de la réforme du droit des contrats… Décidément, l’année 2017 promet d’être bien chargée pour la distribution d’assurances ! »