La réforme du mécanisme de substitution entre mutuelles

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Article du Professeur Pierre-Grégoire Marly, RTDF 2018/1

 

1. Le mécanisme de substitution fut introduit par l’ordonnance n° 2001-350 du 19 avril 2001 qui a transposé dans le code de la mutualité les directives européennes sur l’assurance. A l’époque, beaucoup de mutuelles n’ayant pas les moyens financiers de se conformer au régime nouvellement institué, ce mécanisme était destinée à leur permettre de poursuivre leur activité en s’adossant à une entité satisfaisant pleinement aux exigences du nouveau code de la mutualité.

Primitivement conçue comme un procédé transitoire[1], la substitution forme aujourd’hui un mode de fonctionnement atypique par lequel une mutuelle (« substituée ») prend des engagements d’assurance dont le risque, en vertu d’une convention ad hoc, est supporté par une autre mutuelle (« substituante »)[2]. La mutuelle substituée peut ainsi exercer son activité en franchise de l’agrément administratif et du régime prudentiel ordinairement imposés à tout organisme d’assurance.

 

2. Au plan juridique, l’opération de substitution se distingue de la fusion entre mutuelles puisque l’entité substituée, à la différence d’une entité fusionnée, conserve sa personnalité morale et, partant, son autonomie dans la relation avec ses clients[3].

Elle se distingue également de la réassurance dans la mesure où, à rebours d’une mutuelle substituée, la mutuelle réassurée demeure seule responsable des engagements qu’elle a souscrits auprès de ses assurés[4]. En d’autres termes, là où le réassureur ne tisse aucun lien contractuel avec les assurés, la substituante s’oblige envers ces derniers à prendre la place de leur mutuelle dans l’exécution des engagements d’assurance dont ils sont créanciers. Ce faisant, elle se livre donc à une activité d’assurance directe[5].

Pour autant, l’engagement de la substituante ne libère pas la substituée de ses obligations vis-à-vis des assurés, mais en garantit l’exécution[6]. En ce sens, l’ordonnance n° 2017-734 du 4 mai 2017[7], qui modifie substantiellement le régime des organismes mutualistes, précise à l’article L. 211-5 du code de la mutualité : « Les mutuelles et unions substituantes donnent aux mutuelles et unions substituées leur caution solidaire pour l’ensemble de leurs engagements financiers et charges, y compris non assurantiels vis-à-vis des membres participants, ayants droit, bénéficiaires et de toute autre personne physique ou morale. [8] »

Outre qu’elle qualifie expressément de cautionnement solidaire la garantie fournie par la substituante, cette disposition étend son objet à tous les engagements de la substituée, fussent-ils non assurantiels. Par ailleurs, la substitution ne peut plus être partielle, l’article L. 211-5 précité énonçant désormais qu’elle embrasse nécessairement « l’ensemble des opérations et des branches pratiquées par la mutuelle ou l’union substituée ».

Cet accroissement des engagements de la substituante justifie que l’ordonnance de 2017 l’ait investie d’un pouvoir de contrôle sur l’activité de la substituée.

 

3. Ce pouvoir est particulièrement étendu puisqu’en vertu de ses statuts, la mutuelle substituée doit à tout le moins requérir l’autorisation de l’entité substituante pour la fixation des prestations et des cotisations, la désignation de son dirigeant opérationnel, sa politique salariale et de recrutement, ses plans de sauvegarde de l’emploi, l’externalisation de prestations, les opérations d’acquisition ou de cession d’actifs ou de participation, de constitution de sûretés et d’octroi de cautions, avals ou garanties[9].

Ses statuts doivent également préciser « qu’en cas de carence de la mutuelle ou de l’union substituée pour fixer ces paramètres ils sont déterminés par la mutuelle ou l’union substituante »[10]. Au jugé, si cette suppléance se conçoit pour certaines opérations telle que la tarification des contrats d’assurance, elle s’aperçoit plus difficilement pour d’autres comme la constitution de sûretés.

Quoi qu’il en soit, l’immixtion des substituantes dans la gestion des substituées contraste avec la relative autonomie dont jouissaient ces dernières jusqu’à la réforme de 2017. Encadrée par la convention de substitution, cette autonomie n’était alors tempérée que par la concertation nécessaire à l’élaboration et la gestion des contrats d’assurance. En revanche, la mutuelle substituée demeurait libre de son administration et de son fonctionnement.

Sans cette liberté, la substitution cesserait donc d’être un mode existentiel des mutuelles pour recouvrer sa vocation originelle de procédé transitoire, prélude à une fusion ou une pleine autonomie des mutuelles substituées.

4. Pièce médullaire de ce procédé, la convention de substitution régit les rapports entre la substituante et la substituée. Sa conclusion, sa modification ainsi que sa résiliation requièrent l’autorisation de l’ACPR qui doit être informée de l’opération envisagée au plus tard trois mois avant sa réalisation – et non plus deux – voire six s’agissant de la résiliation[11].

En toute occurrence, le superviseur se prononce au regard de la situation financière de l’entité substituante et la conformité de la convention à l’article L. 211-5 susmentionné ainsi que les articles R. 211-21 et suivants du code de la mutualité. Récemment amendés par un décret du 31 janvier 2018[12], ces derniers disposent notamment que la convention de substitution doit désormais prévoir l’engagement de caution solidaire fourni par la substituante ainsi que les modalités du contrôle que celle-ci exerce sur la substituée[13].

Lorsqu’elle autorise la convention, l’ACPR constate, par une décision publiée au Journal officiel, la caducité des agréments de l’entité substituée qui en est dorénavant dispensée de même qu’elle peut être exemptée de nommer un commissaire aux comptes si celui de la mutuelle substituante certifie ses comptes annuels[14]. En toute hypothèse, cette dernière est chargée sur le plan administratif de procéder en lieu et place de la substituée à la communication de tous les documents nécessaires au contrôle de l’ACPR. Sur le plan financier, la substitution a pour conséquence d’obliger la substituante à constituer et représenter dans ses comptes l’intégralité des dettes, réserves et provisions afférentes aux engagements souscrits par la substituée[15].

Cet asservissement justifie que trois mois avant l’expiration ou la résiliation de la convention, la mutuelle substituée soit tenue d’informer et de justifier auprès de l’ACPR, soit qu’elle a prolongé ladite convention ou en a conclu une nouvelle, soit qu’elle a recouvré l’agrément requis pour poursuivre ses activités, soit qu’elle a été autorisée à transférer son portefeuille.

 

5. De leur côté, les assurés sont informés du mécanisme de substitution par une mention au bulletin d’adhésion, la notice d’information ou au contrat collectif qui les affilie à la mutuelle substituée[16].

Cette mention a également été enrichie par le décret précité du 31 janvier 2018 puisque, de la convention de distribution, elle doit désormais reproduire la clause stipulant que la mutuelle substituante se porte caution solidaire de l’ensemble des engagements financiers, y compris non assurantiels, souscrits par la mutuelle substituée.

La mise en œuvre de ce cautionnement appelle quelques précisions, spécialement lorsqu’il profite aux adhérents ainsi qu’aux bénéficiaires des prestations d’assurance. De fait, cette mise en œuvre est subordonnée à la défaillance de la mutuelle substituée dans l’exécution des opérations individuelles ou collectives qu’elle a contractées.

Or, cette défaillance ne peut être appréciée isolément au niveau de chaque engagement souscrit mais globalement au niveau de l’activité de la mutuelle substituée dont la solvabilité serait par hypothèse altérée. A cet égard, rappelons qu’à la différence des autres prestataires de services, les organismes d’assurance connaissent un cycle de production inversé puisqu’ils commercialisent leurs services avant même de les produire, de sorte que le prix de revient afférent n’est connu que postérieurement au prix de vente. En d’autres termes, il leur est impossible de déterminer a priori le coût exact des prestations qu’ils fourniront en contrepartie des primes collectées. Par suite, un assureur pourrait se trouver insolvable quand même il ne serait pas en état de cessation des paiements. C’est pourquoi, sa défaillance s’entend plus spécifiquement de l’impossibilité dans laquelle il se trouverait d’exécuter ses engagements vis-à-vis des assurés[17].

Cet état de défaillance, qui s’apparenterait à la situation irrémédiablement compromise d’une entreprise ordinaire ou à son impossibilité manifeste de se redresser, ne peut être qu’exceptionnellement établi dans la mesure où les organismes d’assurance font l’objet d’un contrôle permanent par l’ACPR[18] qui, en cas de difficultés financières, peut prendre des mesures de police administrative[19]. Ces mesures doivent précisément d’éviter qu’un assureur en difficulté ne puisse honorer ses engagements d’assurance.  Si elles échouaient, la seule issue concrètement envisageable serait alors la dissolution et la liquidation subséquente de l’organisme défaillant.

Le fait qu’une mutuelle substituée opère sous un régime allégé, puisque ses obligations prudentielles sont supportées par l’entité substituante, ne modifie pas la nature spécifique et le contrôle étatique de son activité. Sa défaillance, justifiant le règlement des adhérents par la mutuelle substituante, doit donc être appréciée selon les critères applicables à tout organisme d’assurance.

 

 

[1] Dans l’esprit des rédacteurs de l’ordonnance précitée du 19 avril 2001, à l’issue d’un délai fixé entre cinq et dix ans, l’entité substituée devait, soit fusionner avec une autre mutuelle, soit prendre son autonomie en se conformant aux nouvelles exigences prudentielles.

[2] C. mut., art. L. 111-1, I, in fine et art. L. 211-5.

[3] Sur la fusion entre mutuelles : C. mut., art. L. 113-2.

[4] C. mut., art. L. 211-4, al. 1.

[5] C. mut., art. L. 211-5, al. 2.

[6] Comp. CRC, Régl. N° 2002-06, 12 déc. 2002, § 1.8.1.3 : « la mutuelle ou l’union ayant donné des opérations en substitution conserve la qualité de preneur direct du risque en application de son règlement ou d’un contrat ainsi que la propriété du portefeuille de ses engagements. Elle est titulaire des droits de créance nés de ces engagements et est en toute hypothèse seule habilitée à ester en justice ou à constater la radiation d’un adhérent ne payant pas ses cotisations. »

[7] Ord. n° 2017-734 du 4 mai 2017, JORF du 5 mai 2017 : JCP S n° 30-34, 1er août 2017, p. 1250, note C. Millet-Ursin, A. Damez et A. Thibaut ; LEDA, juin 2017, n°110, p.1, obs. M. Sagnard. Cette ordonnance a été prise sur habilitation de la loi n° 2016-1691, 9 déc. 2016 (dite « Loi Sapin 2 ») : « Loi Sapin 2 : Aspects de droit des assurances », JCP E, n° 17, 27 avril 2017, p. 25, Etude P.-G. Marly.

[8] Signalons que le projet de décret relatif à l’ordonnance précitée du 19 avril 2001 prévoyait initialement d’introduire au code de la mutualité un article R. 211-4-2 selon lequel la convention de substitution « spécifie que la mutuelle ou l’union qui s’est substituée à un autre organisme se porte caution solidaire vis-à-vis des participants et des bénéficiaires de l’intégralité des engagements souscrits par cet organisme pour la ou les branches concernées » (cité par C. Hélary-Olivier et H. de Barmon, « Le nouveau droit de la mutualité : un petit pas pour le droit, un grand pas pour la mutualité », Dr. soc. n°8, août 2001, chron. 17, §10).

[9] C. mut., art. L. 211-5, II.

[10] Ibid.

[11] C. mut., art. L. 211-5 IV.

[12] D. n° 2018-56 du 31 janvier 2018 relatif aux modalités d’application du dispositif de substitution entre mutuelles ou unions régies par le livre II du code de la mutualité : LEDA, Mars 2018, p. 6, obs. M. Sagnard.

[13] C. mut., art. R. 211-22. Jusque lors, En pratique, les conventions de substitution étaient rédigées conformément aux modèles annexés à la note d’information publiée par la CCMIP (ancêtre de l’ACPR) le 7 février 2002.

[14] C. mut., art. L. 211-5 III. ; art. R. 211-21, al. 3.

[15] C. mut., art. R. 211-21-1.

[16] C. mut., art. R. 211-27.

[17] P.-G. Marly et V. Ruol, Droit des entreprises d’assurance, RB éd., 2011, spéc. n° 197. Comp. C. Lang, « L’ouverture de la liquidation judiciaire d’un organisme d’assurance dont les agréments ont été retirés à la condition de cessation des paiements », RGDA 2010/1, p. 57.

[18] C. mon. et fin., art. L. 612-23 et s.

[19] C. mon. et fin., art. L. 612-30 et s.