La surveillance et la gouvernance du produit

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Article du Professeur P.-G. Marly :  « La surveillance et la gouvernance du produit », RTDF 2016/2, chronique « Finance et Assurance »

 

« Topique de la convergence entre le droit financier et le droit des assurances, le sujet de « la surveillance et la gouvernance du produit » (Product Oversight and Governance ou POG) est semblablement traité par Mifid 2[1] et IDD[2]. Au vrai, il illustre davantage la « mifidisation » de l’assurance dont certaines règles de commercialisation s’inspirent apertement de celles applicables aux produits financiers[3]. Si cette inspiration saillit indiscutablement des exigences propres au commerce des « produits d’investissement fondés sur l’assurance » (PIA ou IBIP’s), elle s’aperçoit également dans le droit commun de la distribution d’assurances, où des dispositions empruntées à la réforme MIF embrassent indifféremment assurances-vie et assurances non-vie. Tel est précisément le cas des règles introduites par IDD en matière de gouvernance du produit.

Selon ces règles, pour chaque nouveau contrat ou toute modification significative d’un contrat existant, son concepteur devra suivre un processus de validation définissant le « marché cible », évaluant les risques propres à ce marché et déterminant une stratégie de distribution idoine. Ces informations, périodiquement revues, seront mises à la disposition des distributeurs qui devront se pourvoir de moyens appropriés pour comprendre les caractéristiques et le marché cible du produit concerné. En somme, ces diverses mesures sont destinées à garantir que tout contrat d’assurance soit conçu et distribué dans l’intérêt des consommateurs.

Avant même que la Commission européenne ne précise ce dispositif par des actes délégués, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP ou EIOPA) vient de publier ses orientations qualifiées de « préparatoires » ou « préliminaires »[4]. Le régulateur motive cette singulière chronologie par la nécessité, d’une part, d’instaurer un dialogue précoce entre les superviseurs locaux et les professionnels assujettis au futur dispositif, d’autre part, de contribuer à l’œuvre transversale des autorités européennes de surveillance. De fait, réunies en Joint Committee, celles-ci ont d’ores et déjà présenté une position commune sur la gouvernance du produit[5], à la suite de quoi l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF ou ESMA) a publié un avis technique[6], puis l’Autorité bancaire européenne (ABE ou EBA) ses recommandations[7]. À ces déclinaisons sectorielles ne manquait donc plus que les orientations de l’AEAPP qui, en vue de leur élaboration, lança fin 2014 une consultation publique sur un projet concentré toutefois sur la gouvernance des produits par leurs concepteurs[8]. Aussi, l’année suivante, elle renouvela l’exercice en ajoutant au projet primitif un chapitre cette fois dédié à la gouvernance des produits sous l’angle de leurs distributeurs[9].

Cette séquence s’est donc achevée par l’édiction d’orientations préparatoires que l’AEAPP réexaminera après l’adoption des actes délégués dont elles préfigurent, au moins partiellement, le contenu. Reste que, dans l’attente de ces actes délégués et la transposition de IDD, l’ACPR pourra difficilement se déclarer conforme aux orientations précitées suivant la procédure dite de comply or explain[10]. De fait, hormis quelques dispositions issues de la réforme Solvabilité 2 pour les assureurs, notre droit positif ignore largement la gouvernance du produit. Or, en l’absence de base légale, notre régulateur ne saurait théoriquement s’approprier des orientations qui relèvent du droit souple et, à ce stade, ne peut déclarer au superviseur européen qu’une intention de s’y conformer à l’expiration du délai de transposition fixé au 23 février 2018.

La première partie de ces orientations vise les concepteurs de produits, qu’il s’agisse d’organismes ou d’intermédiaires d’assurance. À grands traits, l’AEAPP recommande tout d’abord que ces professionnels établissent par écrit une politique décrivant les mesures destinées à prévenir le risque que leurs produits s’avèrent inadaptés ou préjudiciables à leur clientèle. Dès la création de ces produits, et non pas seulement lors de leur commercialisation, les caractéristiques de cette clientèle doivent donc être considérées. À la différence des traditionnels « comités nouveaux produits », l’objectif de cette démarche est moins de maitriser le risque auquel la création ou la modification d’un contrat exposerait l’assureur (risque de l’entreprise), que de juguler celui auquel seraient confrontés les preneurs de ce contrat (risque du client).

Proportionnelle à la taille de l’entreprise ainsi qu’à la complexité des produits, la politique de gouvernance doit être approuvée, conduite et revue sous la responsabilité de l’« organe d’administration, de gestion ou de contrôle » (administrative, management or supervisory body ou AMSB) au sein des assureurs, ou toute instance équivalente chez les intermédiaires. Il n’est pas prévu, en revanche, de lui affecter un personnel dédié ou une fonction particulière au sein de l’entreprise.

Sur le fond, la politique de gouvernance du concepteur doit notamment déterminer les critères d’identification du marché cible d’un produit. Symétriquement, elle doit également permettre d’identifier les personnes auxquelles le contrat envisagé ne conviendrait pas et qui, de ce fait, sont étrangères à la cible. Partant de ces éléments, et avant que le produit ne soit distribué, son concepteur est incité à en « tester » la compatibilité avec le marché cible. Concrètement, il devrait éprouver divers scénarii lui permettant de mesurer l’incidence de certaines circonstances sur cette compatibilité aussi longtemps que le produit visé sera sur le marché. À cette fin, le régulateur européen préconise plusieurs séries de questions que le producteur pourrait utilement se poser comme : que se passerait-il si l’environnement économique se détériorait ou si la situation personnelle du souscripteur évoluait ?

Lorsqu’après avoir passé ces tests avec succès le contrat est finalement mis sur le marché, son concepteur doit en vérifier continuellement la congruence à la cible. Pour ce faire, il peut notamment prendre en considération le nombre ainsi que les motifs d’éventuelles réclamations relatives audit contrat. S’il détectait un risque d’inadéquation entre le produit type et la clientèle cible, il devrait alors y remédier par des mesures idoines qu’il notifierait, le cas échéant, aux distributeurs et preneurs concernés. Un tel risque serait caractérisé si, par exemple, la performance d’un contrat d’assurance-vie se révélait très inférieure à celle initialement espérée.

L’AEAPP invite également les concepteurs à choisir une stratégie et un réseau de distribution en fonction des caractéristiques de chaque produit. Après avoir fourni aux distributeurs retenus les informations leur permettant de comprendre le produit et d’identifier le marché cible, ils sont encouragés à vérifier que ces distributeurs agissent conformément aux objectifs fixés par la politique de gouvernance et, à défaut, prendre des mesures appropriées. Encore faut-il que cette surveillance ne confine pas à l’ingérence, d’où la nécessité d’en bien décrire les modalités dans la convention d’intermédiation…

Dans le chapitre qu’elle leur consacre, l’AEAPP enjoint aux distributeurs de se pourvoir également d’une politique de gouvernance, proportionnelle à la taille de l’entreprise et variant selon le niveau d’indépendance ainsi que le caractère accessoire ou principal de l’activité d’intermédiation exercée par le professionnel. Cette politique ne doit évidemment pas porter sur la conception du produit, mais sur sa commercialisation, et viser principalement à définir une stratégie de distribution en fonction du marché cible identifié par le producteur.

Le distributeur pourra-t-il exceptionnellement s’en affranchir et commercialiser hors de la clientèle cible un contrat qu’il estimerait néanmoins être adapté, notamment en vertu du conseil qu’il lui aurait prodigué ? Inversement, le respect du marché cible préjugera-t-il de l’adéquation du produit conseillé au client ? À l’analyse, la possibilité d’une souscription hors de la cible serait plausible pourvu que la stratégie de distribution l’encadre et que l’intermédiaire en démontre formellement l’intérêt pour le preneur ; d’autre part, il rappelle l’indifférence du conseil prodigué au marché cible, le respect de celui-ci ne présumant guère la qualité de celui-là.

Comme les producteurs, les distributeurs établissent et déploient leur politique de gouvernance sous la responsabilité de leurs dirigeants, y compris lorsque certaines tâches sont externalisées. Cette politique doit être revue dans les mêmes conditions, sans que les orientations de l’EIOPA ne mentionnent toutefois de périodicité. Par-delà cette revue, il est recommandé au distributeur d’avertir le concepteur dès qu’il observe que son produit n’est plus ou risque de ne plus être conforme au marché cible. Cette recommandation est destinée à faciliter la surveillance que le producteur doit déployer sur le marché considéré[11].

Au vrai, et indépendamment de leur politique respective de gouvernance, concepteurs et distributeurs de produits d’assurance devront surtout se rapprocher afin de revoir les conventions qui les unissent. Quoique les orientations rapportées ne l’évoquent qu’insuffisamment, ce sont ces conventions qui recenseront les informations que le producteur transmettra à son intermédiaire sur les caractéristiques du contrat, celles du marché cible, les risques afférents, en ce compris les risques de conflits d’intérêts dont la prévention occupe un large espace dans la DDA. C’est encore sous un angle contractuel, et non seulement réglementaire, que devront être inventoriées les données que le distributeur s’engagera à communiquer au producteur et à quel rythme : données sur les souscriptions hors cible, sur le profil des souscripteurs de la cible, sur les réclamations éventuellement reçues… C’est dire que les accords de distribution, parfois négligés par leurs contractants, devront être sensiblement revus et enrichis sous l’impulsion des réformes DDA et Solvabilité 2.

 

[1] Dir. 2014/65/UE, art. 16 (3) et 24 (2).

[2] Dir. 2016/97/UE, art. 25.

[3] Dir. 2016/97/UE, cons. 10.

[4] Preparatory Guidelines on product oversight and governance arrangements by insurance undertaking and insurance distributor, 6 avril 2016, EIOPA- BoS – 16 – 071.

[5] JC/2013/77.

[6] ESMA/TA/2014/1569.

[7] EBA/GL/2015/18.

[8] EIOPA/CP/14/150.

[9] EIOPA/CP/15/008.

[10] Règl. UE n° 1094/2010, art. 9 (2) et16.

[11] Cf. supra.