Directive sur la distribution d’assurances : ce qui attend les intermédiaires… Et les assureurs !

D

 

Editorial du Professeur Pierre-Grégoire Marly, Newletter du LAB, Janvier 2016.

 

« Le 3 juillet 2012, la Commission européenne dévoilait sa proposition de texte réformant la Directive 2002/92/CE sur l’intermédiation en assurance (dite « DIA »). Alors baptisée « DIA 2 », cette proposition avait pour principaux objectifs d’élargir le périmètre de la directive à tous les canaux de distribution, de renforcer la prévention des conflits d’intérêts, d’améliorer la capacité professionnelle des distributeurs, d’appliquer à la commercialisation des « produits d’investissement fondés sur l’assurance » (IBIP’s) des règles de bonne conduite analogues à celles développées sur les marchés d’instruments financiers (MIF) et, enfin, de faciliter la distribution transfrontalière d’assurances en affinant le régime du passeport européen.

Après trois ans de discussions, le trilogue (c’est-à-dire la concertation informelle entre les représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission) est parvenu à une nouvelle version portant, non plus révision, mais abrogation et substitution de la DIA par la Directive sur la distribution d’assurances ou « DDA » (IDD en anglais). Le 24 novembre dernier, en séance plénière et en première lecture, le Parlement européen a adopté une résolution législative favorable à cette directive dont l’entrée prochaine en vigueur ouvrira un délai biennal de transposition par chaque Etat membre.

Sur le fond, la DDA se signale d’emblée par l’étendue de son domaine qui embrasse, outre les intermédiaires, les organismes d’assurance commercialisant directement leurs produits ou ceux d’autres compagnies. Ainsi, la distribution ne se réduit-elle plus à l’intermédiation, d’où l’intitulé finalement retenu pour désigner la nouvelle directive. Sous certaines conditions, celle-ci s’appliquera également aux comparateurs d’assurances et aux distributeurs à titre accessoire qui pourront toutefois s’y soustraire en satisfaisant divers critères. Reste que les assureurs ou les intermédiaires qui recourront aux services d’un distributeur ainsi exempté, devront néanmoins veiller à ce que certaines exigences relatives à l’information et la connaissance des clients finaux soient respectées.

Concernant l’aptitude professionnelle des intermédiaires et des personnels affectés à la distribution d’assurances, la DDA prévoit que les Etats membre devront instaurer une obligation de formation annuelle d’au moins quinze heures. Modulée selon la nature des produits commercialisés, la catégorie du distributeur et les fonctions exercées par le préposé, cette formation continue, dont le suivi fera l’objet d’une fonction dédiée au sein de l’entreprise, doit maintenir un niveau adéquat de compétence et améliorer la qualité du conseil fourni.

La DDA n’impose pas que toute souscription soit précédée d’un conseil, lequel est défini comme une « recommandation personnalisée » expliquant pourquoi un produit donné correspondrait au mieux à l’expression des besoins et exigences du client. Toutefois, même en l’absence d’un conseil proprement dit, le contrat proposé devra a minima être « cohérent » avec ces besoins et exigences qu’en toute occurrence le distributeur sera tenu de préciser en fonction de la complexité du produit et le profil du client.

Par ailleurs, qu’il se livre ou non à une activité de conseil, le distributeur devra fournir au futur preneur un support d’informations standardisé sur le contrat envisagé. Pour les assurances-vie qualifiées d’IBIP’s, ce support correspondra au « document d’informations clés » (DIC ou KID) dont la forme et le contenu sont décrits par le Règlement UE n° 1286/2014 sur les « produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance »(ou PRIIP’s). Pour les autres variétés de contrats, la DDA prescrit la remise d’un « document d’informations sur le produit d’assurance » (ou IPID) dont les caractéristiques sont comparables à celles du DIC susmentionné. A chaque fois, ce document synthétique et autonome, élaboré par le concepteur du produit considéré, alourdira un peu plus le formalisme précontractuel d’ores et déjà requis par le droit français.

Avec la DDA, ce formalisme s’augmentera également de nouvelles informations afférentes, non plus au produit distribué, mais au distributeur. En particulier, pour chaque contrat, l’intermédiaire d’assurance sera tenu d’indiquer s’il perçoit des honoraires, des commissions ou/et des avantages économiques, tandis que l’organisme d’assurance devra mentionner le mode de rétribution (éventuellement incitatif) de son personnel. Cette transparence des rémunérations, limitée toutefois à nature de celles-ci, procède de la prévention des conflits d’intérêts. A ce titre, la DDA énonce que les distributeurs ne pourront être rémunérés ou rémunérer leur personnel d’une manière qui heurterait leur obligation générale d’agir au mieux des intérêts de leurs clients.

Parmi les nouvelles règles de bonne conduite figurent également les dispositions relatives à « la surveillance et la gouvernance du produit » (Product oversight and governance ou POG). En vertu de celles-ci, pour chaque nouveau contrat ou toute modification significative d’un contrat existant, son concepteur devra suivre un processus de validation définissant le « marché cible », évaluant les risques pertinents pour ce marché et déterminant une stratégie de distribution adaptée. Ces informations, régulièrement revues, seront mises à la disposition des distributeurs qui devront se pourvoir de moyens appropriés pour comprendre les caractéristiques et le marché cible du produit concerné. Quoique ce dispositif participe à la maitrise du risque client, il n’est pas étranger à la maitrise des risques de l’entreprise d’assurance dont les outils sont déclinés par la réforme Solvabilité 2.

Aux règles qui viennent d’être sommairement décrites, la DDA ajoute des exigences supplémentaires lorsque la distribution porte sur les IBIP’s. Cette variété de PRIIP’s rassemble les assurances-vie dont la durée ou la valeur de rachat est exposée, en tout ou partie, directement ou indirectement, aux fluctuations du marché. A défaut d’unité conceptuelle, les IBIP’s partagent avec d’autres produits d’investissement une unité fonctionnelle, d’où la convergence de leur régime commercial avec celui que la réforme « MIF 2 » développe pour la distribution des titres financiers (cf. Dir. 2014/65/UE du 15 mai 2014). La DDA transpose donc, mutatis mutandis, les règles de bonne conduite déployées par cette réforme, à l’exception notable de l’interdiction des inducements frappant les conseillers indépendants.

En premier lieu, le distributeur d’IBIP’s devra se doter d’un dispositif organisationnel et administratif permettant d’empêcher efficacement les conflits d’intérêts. Si ce dispositif se révélait insuffisant, le client affecté par le conflit identifié devra en être averti. En deuxième lieu, la documentation d’information précontractuelle devra (i) mentionner si le distributeur qui prodigue un conseil le renouvellera périodiquement, (ii) fournir des orientations et des avertissements sur les risques inhérents aux produits et aux stratégies d’investissement proposées, et (iii) communiquer tous les éléments relatifs aux frais et coûts liés. En troisième lieu, le distributeur devra veiller à ce que ses modalités de rémunération n’aient pas d’ « effet négatif » sur la qualité du service fourni et ne nuisent pas à son obligation d’agir loyalement dans l’intérêt de ses clients. En quatrième lieu, lorsqu’il exerce l’activité de conseil, le distributeur devra procéder à un « test d’adéquation » (suitability test) à dessein de recommander un produit adapté au profil de son client, notamment à sa tolérance au risque et sa capacité de subir des pertes. S’il se prévaut d’un conseil « indépendant », un nombre et une variété suffisants de contrats analysés pourront être exigés par les Etats membres. Par ailleurs, lorsque la souscription n’est pas assortie de conseil, le distributeur devra néanmoins vérifier que le contrat envisagé est approprié pour le client (appropriatness test), au regard notamment de ses connaissances et de son expérience dans le domaine d’investissement concerné. Par exception, les Etats membres pourront dispenser les distributeurs d’appropriatness test à condition que le client en soit informé, qu’il soit à l’initiative de la commercialisation et que les produits distribués soient jugés non-complexes.

Pour ces règles propres aux IBIP’s, comme pour l’ensemble des dispositions qu’elle contient, il importe de noter que la DDA est d’harmonisation minimale, si bien que les pays européens auront la faculté de maintenir ou d’introduire des mesures plus strictes dans leur droit national. Ainsi, compte tenu de notre modèle actuel, il est fort probable que la distribution dépourvue de conseil ne soit pas introduite en droit français. Par ailleurs, il convient de signaler que la Commission européenne adoptera prochainement des actes délégués qui compléteront certains éléments de la directive. Ces actes délégués, auxquels renvoie la DDA, devront préciser par exemple les règles applicables à la gouvernance produit ou encore les critères permettant de déterminer si des paiements versés à un distributeur d’IBIP’s ont un effet négatif sur la qualité du service fourni au client.

C’est dire, en conclusion, que si la réforme européenne de la distribution d’assurances est en marche, elle est encore loin d’être achevée… »