Protéger la clientèle… Oui, mais de quoi ?

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Editorial du Professeur Pierre-Grégoire Marly dans la lettre du Laboratoire Assurance-Banque.


« Il est loin le temps où l’adage exigeait de l’acheteur qu’il soit curieux avant de s’engager (Emptor debet esse curiosus). Aujourd’hui, le droit à être informé supplante le devoir de se renseigner, et l’assurance ne déroge guère à cette mutation : l’information précontractuelle s’épaissit au fil des réformes et s’augmente parfois d’un conseil intimant au professionnel de vérifier formellement l’adéquation du contrat proposé au profil du souscripteur. Désormais, l’assureur ou l’intermédiaire doit instruire, avertir et assister son client. A défaut, il s’expose à des sanctions tant judiciaires (anéantissement du contrat souscrit, responsabilité civile) que disciplinaires (v. par ex. : la décision ACPR n° 2012-07). Au reste, un assureur pourrait être condamné de surcroît pour avoir négligé de prévenir, au moyen d’un dispositif efficace de conformité, un manquement à ses obligations.

Théoriquement, cet arsenal doit contribuer à la protection de la clientèle qui figure expressément parmi les missions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Mais, au fond, de quoi ou contre qui veut-on ainsi protéger le preneur d’assurance ?

Au premier abord, les obligations d’information et de conseil sont destinées à protéger son consentement en palliant l’infériorité technique qui le sépare du professionnel de l’assurance. Partant, un manquement à ces obligations ne devrait être sanctionné que si le consentement protégé s’en est trouvé affecté. En ce sens, la Cour de cassation a récemment écarté la responsabilité d’un courtier pour défaut d’information sur la prescription biennale, au motif que l’assuré, un mandataire judiciaire, était suffisamment compétent pour que ce défaut n’ait pas altéré son consentement.

Depuis plusieurs années, force est toutefois de constater qu’à divers égards, le droit positif ignore ce critère subjectif d’altération pour sanctionner le défaut d’information ou de conseil. C’est ainsi que la Cour de cassation proclame depuis 2008 que le souscripteur d’une assurance-vie rachetable peut renoncer arbitrairement à son contrat si la notice d’information légalement requise ne lui a pas été communiquée en bonne et due forme. Le formalisme précontractuel est alors sanctionné quand bien même sa défaillance n’aurait engendré aucune méprise du souscripteur sur la portée de son engagement. C’est dire que la sanction du professionnel l’emporterait sur la protection du consommateur, au point de l’éclipser.

A l’analyse, cette protection subsiste mais son objet change : elle vise moins le consentement du souscripteur dans sa relation particulière avec un assureur que la confiance des assurés dans leur relation anonyme au marché. Sur ce marché, le contrat d’assurance n’est donc pas saisi comme un accord concret et négocié mais comme le maillon d’un processus d’échanges. Partant, l’assuré est protégé pour sa fonction dans ces échanges et non pour lui-même. Or, cette fonction serait d’autant plus stimulée que la réglementation serait sévère à l’endroit des professionnels.

Dans ce contexte, il importe peu que le consommateur ait un réel besoin d’être informé : l’information participe d’une discipline de marché dont l’intérêt collectif prime l’intérêt individuel de ses acteurs. Juridiquement, cette discipline se traduit par la prolifération de standards comportementaux et autres bonnes pratiques commerciales qui forment un droit de la régulation plutôt qu’un droit de la consommation, un ordre public de direction plutôt qu’un ordre public de protection. Oui, il est loin le temps… «