Dossier sur la fraude à l’assurance (JCP E 29 Mars 2012)

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Les actes du colloque organisé par l’Université du Maine (Thémis-UM) sur la Fraude à l’assurance viennent d’être publiés à la Semaine juridique édition Entreprise et affaires (JCPE, 29 mars 2012, n ° 13).


Ci-dessous un extrait du Rapport introductif rédigé par Pierre-Grégoire Marly :


« La diversité des fraudes à l’assurance n’a d’égal que l’inventivité de leurs auteurs. Plusieurs d’entre elles n’ont d’ailleurs pas manqué de défrayer la chronique : certaines prêtent à sourire, qui mettent en scène un assuré ressuscité ou le piteux simulacre d’un accident ; d’autres inspirent au contraire la révolte, notamment lorsqu’est en cause l’assurance santé. En pratique, se dessinent deux sortes de fraude : celle, dite « rampante », qui rassemble les petites manœuvres dont usent occasionnellement les assurés aux fins de minorer leurs primes ou accroître leurs indemnités, et celle, organisée, où le dessein illicite est l’unique cause du contrat d’assurance.

En toute occurrence, la fraude est un véritable fléau contre lequel assureurs et pouvoirs publics guerroient inlassablement ; car la fraude engendre un coût, rétif à toute estimation exacte, mais dont le poids est in fine supporté par la mutualité des assurés.

Sur le fond, la fraude heurte l’aléa événementiel et économique dont se saisit tout contrat d’assurance : tandis que l’assuré se soumet au hasard, le fraudeur tente de s’en affranchir.

La fraude peut surgir avant même la souscription du contrat, lors de la déclaration des risques. Voici, pour exemple, un candidat à l’assurance qui omet de mentionner dans son questionnaire de santé une pathologie dont il se sait atteint ou qui surestime sciemment la valeur des biens qu’il souhaite garantir. Plus généralement, l’élément matériel de la fraude consiste en une information inexacte sur le risque à couvrir, ce qui conduit invariablement l’assureur à une tarification erronée. Toutefois, pour que la fraude soit consommée, faut-il encore que la fausse déclaration s’augmente d’un élément intentionnel : la mauvaise foi de l’assuré, son dessein mensonger. Toute la difficulté pour l’assureur est alors d’établir cette mauvaise foi que le juge incline toutefois à présumer lorsque le preneur donne une réponse inexacte à une question claire et précise.

La fraude à l’assurance intervient plus fréquemment encore au moment de la déclaration de sinistres. A l’analyse, les manœuvres observées peuvent être classées en trois grandes variétés :

–       le sinistre peut être réel mais provoqué, comme l’illustre l’incendie volontaire ou l’automutilation. A chaque fois, avec l’éventuelle complicité d’un tiers, l’assuré commet un acte intentionnel qui annihile l’incertitude de l’évènement mis en risque ;

–       le sinistre peut être réel et involontaire, mais travesti dans ses circonstances ou ses conséquences dommageables : tel est le cas lorsque le montant du préjudice subi est volontairement surévalué ;

–       enfin, le sinistre peut être fictif car simulé : ainsi de l’accident ou du vol qui n’a pas eu lieu, mais que le preneur atteste au moyen d’un faux.

A quelque moment qu’elle survienne, la fraude à l’assurance donne prise à diverses sanctions.

Au plan civil, la déclaration frauduleuse du risque pourrait théoriquement justifier la nullité du contrat à raison du dol viciant le consentement de l’assureur. La déclaration frauduleuse du sinistre s’ouvrirait, quant à elle, sur une résiliation du contrat dont l’exécution s’avère défectueuse. Cependant, en marge de ces sanctions de droit commun, le droit des assurances prévoit des règles originales.

Ainsi, la fraude dans la déclaration des risques emporte l’annulation du contrat selon un régime favorable où, nonobstant l’anéantissement rétroactif de la convention, l’assureur a la faculté de conserver les primes encaissées, excepté toutefois en matière d’assurance vie. Par ailleurs, les dispositions propres aux assurances de dommages prévoient la nullité du contrat et l’indemnisation de l’assureur lorsque, par une estimation mensongère du souscripteur, le montant garanti excède la valeur réelle du bien assuré.

La déclaration frauduleuse de sinistre s’offre également à des sanctions spécifiques :

–       lorsque le preneur déclare un sinistre inexistant ou intentionnellement provoqué, il ne peut évidemment prétendre à la garantie et pourrait engager sa responsabilité civile ;

–       lorsque le sinistre existe mais que le preneur en déforme les circonstances ou les conséquences, il peut encourir la déchéance de garantie et le contrat être résilié.

Au plan pénal, abstraction faite de la fraude en matière de sécurité sociale, il n’existe pas d’infraction spéciale de fraude à l’assurance. En revanche, celle-ci peut se couler dans le moule de l’escroquerie incriminée aux articles 313-1 et s. du code pénal. Il est précisé que le droit pénal réprime également la seule tentative d’escroquerie lorsqu’elle implique un commencement d’exécution et un désistement involontaire.

L’arsenal curatif de la lutte contre la fraude à l’assurance est désormais complété par un volet préventif dont l’importance va croissant. Depuis plusieurs années, les assureurs se sont dotés de services dédiés avec l’appui de l’Agence pour la lutte contre la fraude à l’assurance (ALFA) qui met à leur disposition des instruments d’information et un réseau certifié d’enquêteurs privés.

Plus largement, la gestion du risque de fraude a pleinement intégré les procédures de contrôle interne dont chaque organisme d’assurance est requis de se pourvoir, spécialement dans la perspective de la réforme « Solvabilité II ». C’est donc par une forme d’autorégulation que ces entités doivent individuellement juguler leur exposition à la fraude tant externe qu’interne. Dans ce contexte, la lutte contre la fraude est érigée en véritable culture de l’entreprise dont elle  innerve toutes les composantes. »