L’évolution du contentieux relatif à la faculté de rétractation dans l’assurance vie

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L’évolution du contentieux relatif à la faculté de rétractation dans l’assurance vie, Revue Trimestrielle de Droit Financier (RTDF) 2010, n°1, p. [90]


RESUME


« Rappelons qu’en vertu de l’article L. 132-5-1 du Code des assurances, cette faculté peut être exercée par le preneur dans un délai de trente jours à partir du moment où il a été informé de la conclusion de son contrat. Toutefois, si préalablement à cette conclusion l’assureur a omis de communiquer les documents informatifs exigés à l’article L. 132-5-2 du même code, ce délai est automatiquement prorogé jusqu’au trentième jour à compter de la remise effective desdits documents. En d’autres termes, le temps de réflexion initialement accordé au souscripteur en vue de protéger son consentement est de plein droit reporté à fin de sanctionner l’assureur. Une sanction redoutable, du reste, puisque des années après la souscription l’assuré pourra rompre son contrat et récupérer subséquemment l’intégralité des primes versées.

Or, à partir de 2006, la Cour de cassation n’a eu de cesse d’affirmer le caractère discrétionnaire de ce droit de rétractation tardif dont l’exercice est réputé de surcroît insoupçonnable d’abus[1]. D’ordinaire sensibles à la bonne foi des contractants, les juges s’abstiennent ici curieusement de contrôler les motifs de la rétractation autant que le comportement de celui qui l’entreprend. Une aubaine pour les preneurs d’assurances libellées en unités de compte qui trouvent là un moyen providentiel de ne pas assumer la dévalorisation de leur contrat.

A deux égards au moins, le droit positif semble toutefois infléchir son consumérisme immodéré en la matière.

Tout d’abord, la Cour régulatrice interprète aujourd’hui plus largement certains actes du souscripteur comme valant renonciation à son droit de rétractation. Ainsi en est-il d’un rachat total[3] ou, plus récemment, d’une affectation du contrat en garantie[4], lorsque ces opérations sont réalisées postérieurement à l’exercice de la rétractation. Par généralisation, tout acte poursuivant l’exécution du contrat d’assurance serait réputé démentir l’anéantissement dont le preneur s’est prévalu en exerçant sa rétractation prorogée.

En revanche, les actes accomplis par le souscripteur antérieurement à cet exercice sont plus rarement interprétés comme une abdication à la faculté de rétractation. Si la Cour de cassation a pu déduire cette abdication d’un rachat total précédant la rétractation[5], elle a récemment conduit le raisonnement inverse s’agissant d’un nantissement du contrat[6]. La difficulté tient ici à la date de naissance du droit de rétractation puisque ce n’est qu’à partir de là que le preneur peut renoncer à ce droit, fut-ce avant de l’exercer.

Plus hypothétique, une autre évolution du droit positif pourrait cette fois-ci affecter le caractère arbitraire de la rétractation dont l’exercice abusif ne peut à ce jour être sanctionné. Pour contestable que soit cette solution, elle pouvait toutefois se recommander d’un arrêt rendu de la Cour de justice des Communautés européennes qui, en matière de vente à distance, avait affirmé que le droit de repentir du consommateur est d’exercice inconditionnel, la bonne foi n’étant pas exigée à cet égard[7].

Or, la position de la Cour de justice a récemment évolué sur ce point. Dans une décision du 3 septembre 2009, elle a en effet estimé que l’acquéreur à distance d’un bien, ayant exercé son droit de rétractation, pouvait être condamné à verser au vendeur une indemnité compensatrice en cas d’utilisation abusive dudit bien[8]. Tout en affirmant qu’une réglementation nationale ne peut prévoir de manière générale le paiement d’une telle indemnité en cas de rétractation dans le délais requis, la Cour réserve cependant aux juges nationaux la possibilité de l’imposer au consommateur « dans l’hypothèse où celui-ci aurait fait usage dudit bien d’une manière incompatible avec les principes de droit civil, tels que la bonne foi ou l’enrichissement sans cause », et à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à la à l’efficacité et à l’effectivité du droit de rétractation. Quoique portant sur la vente de biens à distance, cette décision pourrait opportunément être généralisée à tout droit de renonciation que la loi dédie aux consommateurs. « 


[1] Cass. 2ème civ., 7 mars 2006, pourvoi n° 05-12.338, arrêt n° 508 P+B+R+I, SA La Mondiale Partenaire, Juris-Data n° 2006-032563, Cass.  2ème civ., 7 mars 2006, pourvois n° 05-10.366 et 05-10-367, arrêt n° 509 P+B, Sté AXA Courtage, Juris-Data n° 2006-032562, JCP G 2006, II, 10056, p. 737, F. Descorps Declère,  JCP E 2006, p. 1058, note S. Hovasse ; P.-G. Marly, « La vigueur du formalisme informatif dans l’assurance sur la vie », RDBF, sept.-oct. 2006, p. 47.

[3] Cass. 2e civ., 11 septembre 2008, pourvoi n° 07-16 149, Banque & Droit n° 123 janvier-février 2009, p. 59, obs. P.-G. Marly

[4] Cass. 2ème civ., 25 février 2010, Pourvoi n° 09-11352 ; Cass. 2ème civ., 4 février 2010, Pourvois n° 08-21367 et n° 0910311, préc.

[5] Cass. 2ème civ., 19 février 2009, Pourvoi n° 08-12.280, FS-P+B  et  Cass. 2ème civ., 19 février 2009, Pourvoi n° 08-13-566, FS-D, Banque et Droit n° 125, mai-juin. 2009, p. 58, obs. P.-G. Marly.

[6] Cass. 2ème civ., 3 septembre 2009, Pourvoi n° 09-10475, RDBF n° 6, Novembre 2009, comm. J. Djoudi.

[7] CJCE, 22 avril 1999, aff. C-423/97, Travel Vac.

[8] CJCE, 3 septembre 2009, aff. N° C-489/07, L’essentiel droit des contrats, n° 9, obs. N. Sophanor-Brouillaud.